ut est perdu, nous dit un vieux zouave a barbe grise, les obus tombent
on ne sait d'ou. Dieu me damne, si j'ai rien vu de semblable! Ces maudits
Prussiens sortent du sol pour nous ecraser, nulle resistance n'est
possible!
Tout en faisant la part de l'exageration des fuyards, nous nous rendons a
l'evidence, car le lugubre defile se prolonge a perte de vue, avec
toute la physionomie d'une deroute. Comment traduire les sentiments qui
s'agitent dans notre esprit consterne? Quelle tristesse s'empare de notre
ame au retour dans la pauvre chaumiere! C'en est donc fait de la France!
L'armee de la Loire, victorieuse a ses debuts, est deja terrassee!
La fatigue est le meilleur palliatif de la douleur; malgre l'emotion qu'a
fait naitre l'horrible tableau du desastre, nos yeux se ferment, et le
sommeil vient arreter le souvenir.
_Lundi 5 decembre_.--A 5 heures du matin, tout le monde est sur pied. La
deroute a dure toute la nuit, le defile lugubre n'a pas discontinue un
instant. Au lever du jour, elle s'accentue plus complete encore, et les
premiers rayons d'un soleil d'hiver eclairent les milliers de voitures qui
se dirigent vers Orleans. Plus loin, on voit encore des cuirassiers aux
manteaux rouges, et de nombreuses pieces d'artillerie. Des blesses, le
teint pale, l'oeil livide, sont ramenes sur des cacolets.
La _Republique_ est toujours gonfle au milieu de la prairie. Que faire?
Nul ordre ne nous est envoye! Nous laisserons-nous prendre sottement par
les Prussiens qui approchent? Un mobile court au chateau du Colombier, ou
est installe un poste telegraphique. Aucune nouvelle, aucun ordre: notre
devoir nous impose l'obligation d'attendre jusqu'a la fin. Comment se
decider a plier bagage, en songeant que le ballon peut etre utilise au
dernier moment.
Que les Prussiens viennent s'ils le veulent! Qu'ils nous cernent, qu'ils
nous entourent! Il sera toujours temps de couper nos cordes, et de
lancer la _Republique_ au-dessus des nuages! Nos mobiles et nos marins,
debarrasses de leur ballon, trouveront bien a se sauver a pied. Ils ont
tous des chassepots, des revolvers et sont decides s'il le faut a en faire
bon usage.
Attendons. C'est la decision qui est prise au milieu de la panique.
--Attendons si vous voulez, nous crie d'un air insouciant le lieutenant
des mobiles qui vient de se joindre a nous, mais, pour Dieu! dejeunons.
Et disant ces mots, il nous montre en riant un magnifique lapin qu'il
vient d'acheter trente ce
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