eu d'etat manuel. Non, c'est trop bete; je
n'ai pas eu d'autre outil que mon raisonnement pour me tirer d'affaire.
Les fortunes ne sont pas dans les mains de ceux qui s'amusent a
produire, a confectionner ou a creer, mais bien dans celles qui ne
touchent a rien. Il y a trois races d'hommes, mon cher: ceux qui
vendent, ceux qui achetent et ceux qui servent de lien entre les uns et
les autres. Croyez-moi, les vendeurs et les acheteurs sont les derniers
dans l'echelle des etres.
--C'est-a-dire que celui qui les ranconne est le roi de son siecle?
--Eh! pardieu, oui! a lui seul, il faut qu'il soit plus malin que deux!
Vous etes donc decide a faire de l'esprit et a vendre des mots? Eh bien,
vous serez toujours miserable. Achetez pour revendre ou vendez pour
racheter, il n'y a que cela au monde; mais vous ne me comprenez pas et
vous me meprisez. Vous dites: "Voila un brocanteur, un usurier, un
crocodile!" Pas du tout, mon cher; je suis un excellent homme, d'une
probite reconnue; j'ai la confiance de beaucoup de grands personnages.
Des gens de merite, des philanthropes, des savants meme me consultent et
recoivent mes services. J'ai du coeur; je fais plus de bien en un jour
que vous n'en pourrez faire en vingt ans; j'ai la main large, et molle,
et douce! Eh bien, ouvrez la votre si vous avez besoin d'un ami, et vous
verrez ce que c'est qu'un bon juif qui est bete, mais qui n'est pas sot.
Je ne songeai pas a me facher de ce ton a la fois insolent et amical de
protection bizarre. L'homme etait reellement tout ce qu'il disait etre,
bete au point de blesser sans en avoir conscience, assez bon pour faire
avec plaisir des sacrifices, fin au point d'etre genereux pour se faire
pardonner sa vanite. Je pris le parti de rire de son etrangete, et,
comme il vit que je n'avais aucun besoin de lui, mais que je le
remerciais sans dedain et sans orgueil, il concut pour moi un peu plus
d'estime et de respect qu'il n'avait fait a premiere vue. Nous nous
quittames tres-bons amis. Il eut bien voulu m'avoir pour compagnon de sa
promenade, il craignait de s'ennuyer seul; mais l'heure approchait ou
Obernay avait promis de rentrer, et je doutais que ce nouveau visage lui
fut agreable. Ayant donc pris conge du juif et m'etant fait indiquer le
sentier que devait suivre Obernay pour revenir, je partis a sa
rencontre.
Nous nous retrouvames au bas des glaciers, dans un bois de pins des plus
pittoresque. Obernay rentrait avec plusieurs guides et mule
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