e n'etant pas
tres-eloignee, il s'etait arrange pour y avoir a sa disposition un
pied-a-terre confortable. Il avait si bien fait les choses, qu'Ambroise
se regardait autant comme son serviteur que comme son oblige; mais le
savant, qui me parut etre un original fort agreable, avait exige que le
montagnard fit de sa maison une auberge d'ete pour les amants de la
nature qui penetreraient dans cette region peu connue, et meme qu'il
servit avec devouement tous ceux qui entreprendraient l'exploration de
la montagne, a la seule condition, pour eux, de consigner leurs
observations sur un certain registre qui me fut montre, et que j'avouai
n'etre pas destine a enrichir. Ambroise n'en fut pas moins empresse a me
complaire. J'etais l'ami d'Obernay, je ne pouvais pas ne pas etre un peu
savant, et Ambroise etait persuade qu'il le deviendrait lui-meme, s'il
ne l'etait pas deja, pour avoir heberge souvent des personnes de merite.
Apres avoir employe les premieres heures de la journee a ecrire a mes
parents, je descendis dans la salle commune pour dejeuner, et je m'y
trouvai en tete-a-tete avec un inconnu d'environ trente-cinq ans, d'une
assez belle figure, et qu'a premiere vue je reconnus pour un israelite.
Cet homme me parut tenir le milieu entre l'extreme distinction et la
repoussante vulgarite qui caracterisent chez les juifs deux races ou
deux types si tranches. Celui-ci appartenait a un type intermediaire ou
melange. Il parlait assez purement le francais, avec un accent allemand
desagreable, et montrait tour a tour de la pesanteur et de la vivacite
dans l'esprit. Au premier abord, il me fut antipathique. Peu a peu il me
parut assez amusant. Son originalite consistait dans une indolence
physique et dans une activite d'idees extraordinaires. Mou et gras, il
se faisait servir comme un prince; curieux et commere, il s'enquerait de
tout et ne laissait pas tomber la conversation un seul instant.
Comme il me fit, des le premier moment, l'honneur d'etre
tres-communicatif, je sus bien vite qu'il se nommait Moserwald, qu'il
etait assez riche pour se reposer un peu des affaires, et qu'il
voyageait en ce moment pour son plaisir. Il venait de Venise, ou il
s'etait plus occupe de jolies femmes et de beaux-arts que du soin de sa
fortune; il se rendait a Chamonix. Il voulait voir le mont Blanc, et il
passait par le mont Rose, dont il avait _souhaite se faire une idee_. Je
lui demandai s'il etait tente d'en faire l'escalade.
--Non pas! repon
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