squels commencaient les glaciers, d'abord
resserres en etroites coulisses et peu a peu disposes en vastes arenes
eblouissantes, etaient les premieres assises de la masse effrayante du
mont Rose, dont les neiges eternelles se dessinaient encore en carmin
orange dans le ciel, quand la vallee nageait dans le bleu du soir.
C'etait un spectacle sublime et que je pus savourer durant un jour libre
et calme, avant d'entrer dans la tourmente qui faillit emporter ma
raison et ma vie.
Les premieres heures furent consacrees et pour ainsi dire laborieusement
employees a nous reconnaitre, Obernay et moi. On sait combien est rapide
le developpement qui succede a l'adolescence, et nous etions reellement
beaucoup changes. J'etais pourtant reste assez petit en comparaison
d'Henri, qui avait pousse comme un jeune chene; mais, a demi Espagnol
par ma mere, je m'etais enrichi d'une jeune barbe tres-noire qui, selon
mon ami, me donnait l'air d'un paladin. Quant a lui, bien qu'a
vingt-cinq ans il eut encore le menton lisse, l'extension de ses formes,
ses cheveux autrefois d'un blond d'epi, maintenant dores d'un reflet
rougeatre, sa parole jadis un peu hesitante et craintive, desormais
breve et assuree, ses manieres franches et ouvertes, sa fiere allure,
enfin sa force herculeenne plutot acquise par l'exercice que liee a
l'organisation, en faisaient un etre tout nouveau pour moi, mais non
moins sympathique que l'ancien compagnon d'etudes, et se presentant
franchement comme un aine au physique et au moral. C'etait, en somme, un
assez beau garcon, un vrai Suisse de la montagne, doux et fort, tout
rempli d'une tranquille et constante energie. Une seule chose
tres-caracteristique n'avait pas change en lui: c'etait une peau blanche
comme la neige et un ton de visage d'une fraicheur vive qui eut pu etre
envie par une femme.
Henri Obernay etait devenu fort savant a plusieurs egards; mais la
botanique etait pour le moment sa passion dominante. Son compagnon de
voyage, chimiste, physicien, geologue, astronome et je ne sais quoi
encore, etait en course quand j'arrivai, et ne devait rentrer que le
soir. Le nom de ce personnage ne m'etait pas inconnu, je l'avais souvent
entendu prononcer par mes parents: il s'appelait M. de Valvedre.
La premiere chose qu'on se demande apres une longue separation, c'est si
l'on est content de son sort. Obernay me parut enchante du sien. Il
etait tout a la science, et, avec cette passion-la, quand elle est
sincere et
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