ferait le froid d'un souffle, et le dessin de
paroles, parlees en dedans, courut mele au vague sourire de ses
levres entr'ouvertes.
M. de Goncourt a le sens et le rendu des gestes caracteristiques. Il
sait l'adroit et caressant coup de main que donne une jeune fille sur la
jupe de sa voisine, "l'allee et la venue d'un petit pied bete" d'une
femme hesitant a dire une idee embarrassante et saugrenue, le rapide
gigottement du coude d'une actrice eclatant d'un fou rire, et le geste
de colere avec lequel, desesperant de trouver une intonation, elle tire
les pointes de son corsage.
Et cette perpetuelle vision de mouvements physiques, ces physionomies
changeantes, ces bras remuants, ces muscles frissonnants sous
l'epiderme, toute cette vie qui s'agite dans les pages descriptives de
M. de Goncourt, secoue et precipite les passions de ses personnages,
accelere leurs conversations en ripostes serrees de pres, fait voler
leur esprit, emporte leurs actes, varie leurs humeurs. L'on assiste aux
tatonnements d'un gymnaste cherchant un tour entrevu; a la brillante et
heureuse folie de son succes; aux revoltes cabrees d'une fille a moitie
maniaque, a son "herissement de bete" devant la porte de sa prison, a
l'alanguissement graduel de sa volonte meurtrie et matee. Ce que M. de
Goncourt nous montre, ce sont les coleres d'une petite fille gatee, se
roulant par terre dans la rage d'une soupe otee; l'affolement d'une
jeune femme mourant de sa chastete, et courant a la quete d'un mari;
l'etat d'ame inquiet et alangui d'une actrice entretenue, elaborant un
role de grande amoureuse, se jetant dans le plus poetique et le plus
emouvant amour, abandonnant le theatre, puis reprise par lui, recuperant
ce coup d'oeil aigu d'observatrice qui la fait inconsciemment mimer la
mort de son amant.
Et par une consequence logique ce sont des ames capables de ces
variations, de ces emportements, de ces sautes, que M. de Goncourt
s'applique a peindre, des ames diverses, plastiques a toutes les
sensations, desarticulees et nerveuses, sans constance et sans unite,
sans rien qui les raidisse, les soutienne et les cimente, des ames de
demi-artistes, des ames de premier mouvement, soudaines, ductiles et
fougueuses. Conduit par son realisme a l'etude d'une basse prostituee,
d'ailleurs retive et passionnee, il n'a fait depuis que des creatures
fantasques et charmantes, des clowns bohemiens, une actrice, une jeune
fille jolie, coquette et gatee, des et
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