plaisantait. Je dis:
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--Cette chaine maintenant est bien inutile, la main ne
se sauvera pas.
Sir John Rowell reprit gravement:
--Elle voule toujours s'en aller. Cette chaine ete
[5]necessaire.
D'un coup d'oeil rapide j'interrogeai son visage, me
demandant:
--Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant?
Mais la figure demeurait impenetrable, tranquille et
[10]bienveillante. Je parlai d'autre chose et j'admirai les
fusils.
Je remarquai cependant que trois revolvers charges
etaient poses sur les meubles, comme si cet homme eut
vecu dans la crainte constante d'une attaque. Je revins
[15]plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'etait
accoutume a sa presence; il etait devenu indifferent a tous.
Une annee entiere s'ecoula. Or un matin, vers la fin de
novembre, mon domestique me reveilla en m'annoncant
que sir John Rowell avait ete assassine dans la nuit.
[20]Une demi-heure plus tard, je penetrais dans la maison
de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine
de gendarmerie. Le valet, eperdu et desespere, pleurait
devant la porte. Je soupconnai d'abord cet homme, mais
il etait innocent.
[25]On ne put jamais trouver le coupable.
En entrant dans le salon de sir John, j'apercus du premier
coup d'oeil le cadavre etendu sur le dos, au milieu
de la piece.
Le gilet etait dechire, une manche arrachee pendait,
tout annoncait qu'une lutte terrible avait eu lieu.
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L'Anglais etait mort etrangle! Sa figure noire et gonflee,
effrayante, semblait exprimer une epouvante abominable;
il tenait entre ses dents serrees quelque chose; et
le cou, perce de cinq trous qu'on aurait dit faits avec des
[5]pointes de fer, etait couvert de sang.
Un medecin nous rejoignit. Il examina longtemps les
traces des doigts dans la chair et prononca ces etranges
paroles:
--On dirait qu'il a ete etrangle par un squelette.
[10]Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux
sur le mur, a la place ou j'avais vu jadis l'horrible main
d'ecorche. Elle n'y etait plus. La chaine, brisee,
pendait.
Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans
[15]sa bouche crispee un des doigts de cette main disparue,
coupe ou plutot scie par les dents juste a la deuxieme
phalange.
Puis on proceda aux constatations. On ne decouvrit
rien. Aucune porte n'avait ete forcee, aucune fenetre,
[20]aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s'etaient pas
reveilles.
Voici, en quelques mots, la deposition
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