ut ete
tout a fait etranglee.
La famille du bonhomme, son fils Jean, sa bru et deux
[5]petits enfants se tenaient a dix pas en arriere, effares et
consternes.
Le colonel reprit:
--Savez-vous aussi qui a tue tous les eclaireurs de notre
armee qu'on retrouve chaque matin, par la campagne,
[10]depuis un mois?
Le vieux repondit avec la meme impassibilite de brute:
--C'est me.
~-C'est vous qui les avez tues tous?
--Tretous, oui, c'est me.
[15]--Vous seul?
--Me seul.
--Dites-moi comment vous vous y preniez.
Cette fois l'homme parut emu; la necessite de parler
longtemps le genait visiblement. Il balbutia:
[20]-Je sais-ti, me? J'ai fait ca comme ca s'trouvait.
Le colonel reprit:
--Je vous previens qu'il faudra que vous me disiez
tout. Vous ferez donc bien de vous decider immediatement.
Comment avez-vous commence?
[25]L'homme jeta un regard inquiet sur sa famille attentive
derriere lui. Il hesita un instant encore, puis, tout a coup,
se decida.
--Je r'venais un soir, qu'il etait p't-etre dix heures, le
lend'main que vous etiez ici. Vous, et pi vos soldats,
vous m'aviez pris pour pu de chinquante ecus de fourrage
avec une vaque et deux moutons. Je me dis: Tant qu'i
me prendront de fois vingt ecus, tant que je leur y revaudrai
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ca. Et pi j'avais d'autres choses itou su l'coeur, que
j'vous dirai. V'la qu'j'en apercois un d'vos cavaliers qui
fumait sa pipe su mon fosse, derriere ma grange. J'allai
decrocher ma faux et je r'vins a p'tits pas par derriere,
[5]qu'il n'entendit seulement rien. Et j'li coupai la tete
d'un coup, d'un seul, comme un epi, qu'il n'a pas seulement
dit "ouf!" Vous n'auriez qu'a chercher au fond d'la mare;
vous le trouveriez dans un sac a charbon, avec une pierre
de la barriere.
[10]"J'avais mon idee. J'pris tous ses effets d'puis les
bottes jusqu'au bonnet et je les cachai dans le four a
platre du bois Martin, derriere la cour."
Le vieux se tut. Les officiers, interdits, se regardaient.
L'interrogatoire recommenca; et voici ce qu'ils apprirent:
* * *
[15]Une fois son meurtre accompli, l'homme avait vecu avec
cette pensee: "Tuer des Prussiens!" Il les haissait d'une
haine sournoise et acharnee de paysan cupide et patriote
aussi. Il avait son idee, comme il disait. Il attendit
quelques jours.
[20]On le laissait libre d'aller et de venir, d'entrer et de
sortir a sa guise, tant il s'etait montre humble envers les
vainqueurs, soumis et complaisa
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