rvir, monsieur l'ange.
"--Vous dites donc Cucugnan...
"Et l'ange ouvre et feuillette son grand livre,
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mouillant son doigt de salive pour que le feuillet glisse
mieux...
"--Cucugnan, dit-il poussant un long soupir... Monsieur
Martin, nous n'avons en purgatoire personne de
[5]Cucugnan.
"--Jesus! Marie! Joseph! personne de Cucugnan en
purgatoire! O grand Dieu! ou sont-ils donc?
"--Eh! saint homme, ils sont en paradis. Ou diantre
voulez-vous qu'ils soient?
[10]"--Mais j'en viens, du paradis...
"--Vous en venez!!... Eh bien?
"--Eh bien! ils n'y sont pas!... Ah! bonne mere des
anges!...
"--Que voulez-vous, monsieur le cure? s'ils ne sont ni
[15]en paradis ni en purgatoire, il n'y a pas de milieu, ils
sont....
"--Sainte croix! Jesus, fils de David! Ai! ai! ai! est-il
possible?... Serait-ce un mensonge du grand saint Pierre?
...Pourtant je n'ai pas entendu chanter le coq!... Ai
[20]pauvres nous! comment irai-je en paradis si mes
Cucugnanais n'y sont pas?
"--Ecoutez, mon pauvre monsieur Martin, puisque
vous voulez, coute que coute, etre sur de tout ceci, et voir
de vos yeux de quoi il retourne, prenez ce sentier, filez
[25]en courant, si vous savez courir... Vous trouverez, a
gauche, un grand portail. La, vous vous renseignerez sur
tout. Dieu vous le donne!
"Et l'ange ferma la porte.
"C'etait un long sentier tout pave de braise rouge. Je
[30]chancelais comme si j'avais bu; a chaque pas, je
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trebuchais; j'etais tout en eau, chaque poil de mon corps avait
sa goutte de sueur, et je haletais de soif... Mais, ma foi,
grace aux sandales que le bon saint Pierre m'avait pretees,
je ne me brulai pas les pieds.
[5]"Quand j'eus fait assez de faux pas clopin-clopant, je
vis a ma main gauche une porte... non, un portail, un
enorme portail, tout baillant, comme la porte d'un grand
four. Oh! mes enfants, quel spectacle! La on ne demande
pas mon nom; la, point de registre. Par fournees et a
[10]pleine porte, on entra la, mes freres, comme le dimanche
vous entrez au cabaret.
"Je suais a grosses gouttes, et pourtant j'etais transi,
j'avais le frisson. Mes cheveux se dressaient. Je sentais
le brule, la chair rotie, quelque chose comme l'odeur qui
[15]se repand dans notre Cucugnan quand Eloy, le marechal,
brule pour la ferrer la botte d'un vieil ane. Je perdais
haleine dans cet air puant et embrase; j'entendais une
clameur horrible, des gemissements, des hurlements et des
jureme
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