e l'huis, elle demanda:
--Qui etes-vous?
[20]La voix repondit:
--Che suis le tetachement de l'autre chour.
La jeune femme reprit:
--Qu'est-ce que vous voulez?
--Che suis berdu tepuis ce matin, tans le pois, avec mon
[25]tetachement. Oufrez ou che gasse la borte.
La forestiere n'avait pas le choix; elle fit glisser vivement
le gros verrou, puis tirant le lourd battant, elle
apercut dans l'ombre pale des neiges, six hommes, six
soldats prussiens, les memes qui etaient venus la veille.
[30]Elle prononca d'un ton resolu:
--Qu'est-ce que vous venez faire a cette heure-ci?
Le sous-officier repeta:
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--Che suis berdu, tout a fait berdu, che regonnu la
maison. Che n'ai rien manche tepuis ce matin, mon
tetachement non blus.
Berthine declara:
[5]--C'est que je suis toute seule avec maman, ce soir.
Le soldat, qui paraissait un brave homme, repondit:
--Ca ne fait rien. Che ne ferai bas de mal, mais fous
nous ferez a mancher. Nous dombons te faim et te
fatigue.
[10]La forestiere se recula:
--Entrez, dit-elle.
Ils entrerent, poudres de neige, portant sur leurs casques
une sorte de creme mousseuse qui les faisait ressembler a
des meringues, et ils paraissaient las, extenues.
[15]La jeune femme montra les bancs de bois des deux cotes
de la grande table.
--Asseyez-vous, dit-elle, je vais vous faire de la soupe.
C'est vrai que vous avez l'air rendus.
Puis elle referma les verrous de la porte.
[20]Elle remit de l'eau dans la marmite, y jeta de nouveau
du beurre et des pommes de terre, puis decrochant un
morceau de lard pendu dans la cheminee, elle en coupa
la moitie qu'elle plongea dans le bouillon.
Les six hommes suivaient de l'oeil tous ses mouvements
[25]avec une faim eveillee dans leurs yeux. Ils avaient pose
leurs fusils et leurs casques dans un coin, et ils attendaient,
sages comme des enfants sur les bancs d'une ecole.
La mere s'etait remise a filer en jetant a tout moment
des regards eperdus sur les soldats envahisseurs. On n'entendait
[30]rien autre chose que le ronflement leger du rouet
et le crepitement du feu et le murmure de l'eau qui
S'echauffait.
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Mais soudain un bruit etrange les fit tous tressaillir,
quelque chose comme un souffle rauque pousse sous la
porte, un souffle de bete, fort et ronflant.
Le sous-officier allemand avait fait un bond vers les
[5]fusils. La forestiere l'arreta d'un geste, et souriante:
--C'est les loups, dit-elle
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