ssus de la mer, regarde, par-dessus
[5]le detroit herisse d'ecueils, la cote plus basse de la
Sardaigne. A ses pieds, de l'autre cote, la contournant presque
entierement, une coupure de la falaise, qui ressemble a un
gigantesque corridor, lui sert de port, amene jusqu'aux
premieres maisons, apres un long circuit entre deux
[10]murailles abruptes, les petits bateaux pecheurs italiens ou
sardes, et, chaque quinzaine, le vieux vapeur poussif qui
fait le service d'Ajaccio.
Sur la montagne blanche, le tas de maisons pose une
tache plus blanche encore. Elles ont l'air de nids d'oiseaux
[15]sauvages, accrochees ainsi sur ce roc, dominant sur ce
passage terrible ou ne s'aventurent guere les navires. Le
vent, sans repos, fatigue la cote nue, rongee par lui, a
peine vetue d'herbe; il s'engouffre dans le detroit, dont il
ravage les deux bords. Les trainees d'ecume pale,
[20]accrochees aux pointes noires des innombrables rocs qui
percent partout les vagues, ont l'air de lambeaux de toiles
flottant et palpitant a la surface de l'eau.
La maison de la veuve Saverini, soudee au bord meme
de la falaise, ouvrait ses trois fenetres sur cet horizon sauvage
[25]et desole.
Elle vivait la, seule, avec son fils Antoine et leur chienne
"Semillante," grande bete maigre, aux poils longs et rudes,
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de la race des gardeurs de troupeaux. Elle servait au
jeune homme pour chasser.
Un soir, apres une dispute, Antoine Saverini fut tue
traitreusement, d'un coup de couteau, par Nicolas
[5]Ravolati, qui, la nuit meme, gagna la Sardaigne.
Quand la vieille mere recut le corps de son enfant, que
des passants lui rapporterent, elle ne pleura pas, mais elle
demeura longtemps immobile a le regarder; puis, etendant
sa main ridee sur le cadavre, elle lui promit la vendetta.
[10]Elle ne voulut point qu'on restat avec elle, et elle
s'enferma aupres du corps avec la chienne, qui hurlait. Elle
hurlait, cette bete, d'une facon continue, debout au pied
du lit, la tete tendue vers son maitre, et la queue serree
entre les pattes. Elle ne bougeait pas plus que la mere,
[15]qui penchee maintenant sur le corps, l'oeil fixe, pleurait de
grosses larmes muettes en le contemplant.
Le jeune homme, sur le dos, vetu de sa veste de gros
drap, trouee et dechiree a la poitrine, semblait dormir;
mais il avait du sang partout: sur la chemise arrachee
[20]pour les premiers soins; sur son gilet, sur sa culotte, sur
la face, sur les mains. Des caillots de san
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