nt. Or il voyait, chaque
soir, partir les estafettes; et il sortit, une nuit, ayant
entendu le nom du village ou se rendaient les cavaliers, et
[25]ayant appris, dans la frequentation des soldats, les quelques
mots d'allemand qu'il lui fallait.
Il sortit de sa cour, se glissa dans le bois, gagna le four
a platre, penetra au fond de la longue galerie et, ayant
retrouve par terre les vetements du mort, il s'en vetit.
[30]Alors il se mit a roder par les champs, rampant, suivant
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les talus pour se cacher, ecoutant les moindres bruits,
inquiet comme un braconnier.
Lorsqu'il crut l'heure arrivee, il se rapprocha de la route
et se cacha dans une broussaille. Il attendit encore.
[5]Enfin, vers minuit, un galop de cheval sonna sur la terre
dure du chemin. L'homme mit l'oreille a terre pour
s'assurer qu'un seul cavalier s'approchait, puis il
s'appreta.
Le uhlan arrivait au grand trot, rapportant des depeches.
[10]Il allait, l'oeil en eveil, l'oreille tendue. Des qu'il ne fut
plus qu'a dix pas, le pere Milon se traina en travers de la
route en gemissant: "_Hilfe! Hilfe!_ A l'aide, a l'aide!"
Le cavalier s'arreta, reconnut un Allemand demonte, le
crut blesse, descendit de cheval, s'approcha sans soupconner
[15]rien, et, comme il se penchait sur l'inconnu, il recut au
milieu du ventre la longue lame courbee du sabre. Il
s'abattit, sans agonie, secoue seulement par quelques frissons
supremes.
Alors le Normand, radieux, d'une joie muette de vieux
[20]paysan, se releva, et, pour son plaisir, coupa la gorge du
cadavre. Puis, il le traina jusqu'au fosse et l'y jeta.
Le cheval, tranquille, attendait son maitre. Le pere
Milon se mit en selle, et il partit au galop a travers les
plaines.
[25]Au bout d'une heure, il apercut encore deux uhlans
cote a cote qui rentraient au quartier. Il alla droit sur
eux, criant encore: "_Hilfe! Hilfe!_" Les Prussiens le
laissaient venir, reconnaissant l'uniforme, sans mefiance.
aucune. Et il passa, le vieux, comme un boulet entre les
[30]deux, les abattant l'un et l'autre avec son sabre et un
revolver.
Puis il egorgea les chevaux, des chevaux allemands!
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Puis il rentra doucement au four a platre et cacha un
cheval au fond de la sombre galerie. Il y quitta son uniforme,
reprit ses hardes de gueux et, regagnant son lit,
dormit jusqu'au matin.
[5]Pendant quatre jours, il ne sortit pas, attendant la fin
de l'enquete ouverte; mais, le cinquieme jour, il reparti
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