que soir les tendresses,
les petits soins et les baisers. Il aimait se lever tard et se
[10]coucher tot, manger lentement de bonnes choses et boire
de la biere dans les brasseries. Il songeait en outre que
tout ce qui est doux dans l'existence disparait avec la vie;
et il gardait au coeur une haine epouvantable, instinctive
et raisonnee en meme temps, pour les canons, les fusils, les
revolvers et les sabres, mais surtout pour les baionnettes,
[15]se sentant incapable de manoeuvrer assez vivement cette
arme rapide pour defendre son gros ventre.
Et, quand il se couchait sur la terre, la nuit venue, roule
dans son manteau a cote des camarades qui ronflaient, il
[20]pensait longuement aux siens laisses la-bas et aux dangers
semes sur sa route: S'il etait tue, que deviendraient les
petits? Qui donc les nourrirait et les eleverait? A l'heure
meme, ils n'etaient pas riches, malgre les dettes qu'il
avait contractees en partant pour leur laisser quelque
[25]argent. Et Walter Schnaffs pleurait quelquefois.
Au commencement des batailles il se sentait dans les
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jambes de telles faiblesses qu'il se serait laisse tomber, s'il
n'avait songe que toute l'armee lui passerait sur le corps.
Le sifflement des balles herissait le poil sur sa peau.
Depuis des mois il vivait ainsi dans la terreur et dans
[5]l'angoisse.
Son corps d'armee s'avancait vers la Normandie, et
il fut un jour envoye en reconnaissance avec un faible
detachement qui devait simplement explorer une partie du
pays et se replier ensuite. Tout semblait calme dans la
[10]campagne; rien n'indiquait une resistance preparee.
Or, les Prussiens descendaient avec tranquillite dans
une petite vallee que coupaient des ravins profonds,
quand une fusillade violente les arreta net, jetant bas une
vingtaine des leurs; et une troupe de francs-tireurs,
[15]sortant brusquement d'un petit bois grand comme la main,
s'elanca en avant, la baionnette au fusil.
Walter Schnaffs demeura d'abord immobile, tellement
surpris et eperdu qu'il ne pensait meme pas a fuir. Puis
un desir fou de detaler le saisit; mais il songea aussitot
[20]qu'il courait comme une tortue en comparaison des maigres
Francais qui arrivaient en bondissant comme un
troupeau de chevres. Alors, apercevant a six pas devant
lui un large fosse plein de broussailles couvertes de feuilles
seches, il y sauta a pieds joints, sans songer meme a la
[25]profondeur, comme on saute d'un pont dans une riviere.
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