qui va commencer! s'ecria mon capitaine.
Bonsoir!
Ce furent les dernieres paroles que je l'entendis
prononcer.
[20]Un roulement de tambours retentit dans la redoute.
Je vis se baisser tous les fusils. Je fermai les yeux; et
j'entendis un fracas epouvantable, suivi de cris et de
gemissements. J'ouvris les yeux, surpris de me trouver
encore au monde. La redoute etait de nouveau enveloppee
[25]de fumee. J'etais entoure de blesses et de morts. Mon
capitaine etait etendu a mes pieds: sa tete avait ete broyee
par un boulet, et j'etais couvert de sa cervelle et de son
sang. De toute ma compagnie, il ne restait debout que
six hommes et moi.
[30]A ce carnage succeda un moment de stupeur. Le colonel,
mettant son chapeau au bout de son epee, gravit le premier
le parapet en criant: _Vive l'empereur!_ il fut suivi aussitot
Page 7
de tous les survivants. Je n'ai presque plus de souvenir
net de ce qui suivit. Nous entrames dans la redoute, je ne
sais comment. On se battit corps a corps au milieu d'une
fumee si epaisse, que l'on ne pouvait se voir. Je crois que
[5]je frappai, car mon sabre se trouva tout sanglant. Enfin
j'entendis crier: "Victoire!" et la fumee diminuant, j'apercus
du sang et des morts sous lesquels disparaissait la
terre de la redoute. Les canons surtout etaient enterres
sous des tas de cadavres. Environ deux cents hommes
[10]debout, en uniforme francais, etaient groupes sans ordre,
les uns chargeant leurs fusils, les autres essuyant leurs
baionnettes. Onze prisonniers russes etaient avec eux.
Le colonel etait renverse tout sanglant sur un caisson
brise, pres de la gorge. Quelques soldats s'empressaient
[15]autour de lui: je m'approchai.
--Ou est le plus ancien capitaine? demandait-il a un
sergent.
Le sergent haussa les epaules d'une maniere tres
expressive.
[20]--Et le plus ancien lieutenant?
--Voici monsieur qui est arrive d'hier, dit le sergent
d'un ton tout a fait calme.
Le colonel sourit amerement.
--Allons; monsieur, me dit-il, vous commandez en chef;
[25]faites promptement fortifier la gorge de la redoute avec
ces chariots, car l'ennemi est en force; mais le general
C ...va vous faire soutenir.
--Colonel, lui dis-je, vous etes grievement blesse?
--F..., mon cher, mais la redoute est prise!
Page 8
LE COUP DE PISTOLET
TRADUIT DE POUCHKINE
I
"Nous fimes feu l'un sur l'autre."
Bariatynski
"J'ai jure de le tuer selon le code du duel, et j'ai encore mon coup
t
|