un paysan ne lui a jamais
donne asile ni nourriture. Nous savons deja qu'il a des acces de
lethargie qui le retiennent enferme dans sa chambre des journees
entieres. Quand on enfonce les portes, et qu'on s'agite autour de lui,
il tombe en convulsions: Aussi s'en garde-t-on bien desormais. On le
laisse en proie a son extase. Il se passe dans son esprit a ces
moments-la des choses extraordinaires; mais aucun bruit, aucune
agitation exterieure ne les trahissent: ses discours seuls nous les
apprennent plus tard. Lorsqu'il en sort, il parait soulage et rendu a la
raison; mais peu a peu l'agitation revient et va croissant jusqu'au
retour de l'accablement. Il semble qu'il pressente la duree de ces
crises; car, lorsqu'elles doivent etre longues, il s'en va au loin, ou
se refugie dans cette cachette presumee, qui doit etre quelque grotte de
la montagne ou quelque cave du chateau, connue de lui seul. Jusqu'ici on
n'a pu le decouvrir. Cela est d'autant plus difficile qu'on ne peut le
surveiller, et qu'on le rend dangereusement malade quand on veut le
suivre, l'observer, ou seulement l'interroger. Aussi a-t-on pris le
parti de le laisser absolument libre, puisque ces absences, si
effrayantes pour nous dans les commencements, nous nous sommes habitues
a les regarder comme des crises favorables dans sa maladie. Lorsqu'elles
arrivent, ma tante souffre et mon oncle prie; mais personne ne bouge; et
quant a moi, je vous avoue que je me suis beaucoup endurcie a cet
egard-la. Le chagrin a amene l'ennui et le degout. J'aimerais mieux
mourir que d'epouser ce maniaque. Je lui reconnais de grandes qualites;
mais quoiqu'il vous semble que je ne dusse tenir aucun compte de ses
travers, puisqu'ils sont le fait de son mal, je vous avoue que je m'en
irrite comme d'un fleau dans ma vie et dans celle de ma famille.
--Cela me semble un peu injuste, chere baronne, dit Consuelo. Que vous
repugniez a devenir la femme du comte Albert, je le concois fort bien a
present; mais que votre interet se retire de lui, je ne le concois pas.
--C'est que je ne puis m'oter de l'esprit qu'il y a quelque chose de
volontaire dans la folie de ce pauvre homme. Il est certain qu'il a
beaucoup de force dans le caractere, et que, dans mille occasions, il a
beaucoup d'empire sur lui-meme. Il sait retarder a son gre l'invasion de
ses crises. Je l'ai vu les maitriser avec puissance quand on semblait
dispose a ne pas les prendre au serieux. Au contraire, quand il nous
voit dis
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