ut contre
moi, et me regarde. Tu penses si je suis emue. Alors, sans meme me
retourner, je veux continuer mon chemin. Mais une main me prend
doucement par le bras, et une voix me dit avec l'accent anglais: "Je
vous fais peur, mademoiselle?" C'etait M. Burn. Je te demande si je
pouvais l'eviter, malgre l'envie que j'en avais. Il me dit qu'il
vient d'Arcachon ou il est reste depuis son depart de Peyrehorade,
et qu'il se rend a la gare de la Bastide pour prendre le train de
Paris. Moi je ne lui dis rien, pensant qu'il va m'abandonner. Pas du
tout. Comme il est en avance, il trouve que c'est un moyen de tuer
le temps que de me faire la conversation.
C'est a ce moment, sans doute, qu'est passe celui qui t'a dit
m'avoir vue en compagnie de M. Burn; ce ne peut etre qu'a ce moment,
puisque nous ne sommes pas restes ensemble plus de huit ou dix
minutes. J'avoue que je n'ai pas bien conscience du temps, car
j'etais mal a mon aise. Je n'avais su que repondre quand il m'avait
montre de la surprise de me rencontrer a Bordeaux, alors qu'il me
croyait en Champagne; et je ne savais aussi que dire pendant qu'il
m'examinait: je sentais que ma grossesse sautait aux yeux, ainsi que
ma confusion. Ces quelques instants, dont on me fait un crime, m'ont
pourtant ete bien cruels. Enfin il me quitta avec un air de pitie
qui n'etait pas pour me rendre courage, et je rentrai a la maison,
me reprochant cette malheureuse sortie, mais sans prevoir les
consequences qu'elle allait avoir.
Voila la verite, idole de mon coeur, toute la verite, telle que je
te l'ai dite franchement, telle que je te la repete pour qu'elle te
rassure, te calme, pour qu'elle t'empeche de douter de moi.
Interroge ta conscience, mon cheri, et je suis sure que sa voix te
repondra que tu ne peux pas me soupconner. Ecoute-la, ecoute aussi
la raison qui te dira que je serais la plus bete ou la plus folle
des femmes de te tromper. Suis-je cette bete? Suis-je cette folle?
Folle d'amour, oui, je la suis; folle d'amour pour toi, je l'ai ete
du jour ou je t'ai vu, et je la serai jusqu'a la mort. Parce que je
t'ai ecoute, parce que j'ai cede a ta parole, a tes beaux yeux, a ta
passion, a ton elegance, a ta noblesse, a tout ce qui fait ton
prestige, peux-tu supposer que j'aurais cede a un autre? Mais il n'y
a qu'un Gaston au monde pour moi, et
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