Juliette:--As-tu ete bien malheureux, mon pauvre Charles?
Charles:--Malheureux, non! j'etais trop occupe. Pense donc quel travail
pour inventer des choses affreuses, inouies, et pour les executer tout
seul, sans autre aide que celle, tres rare et difficile, de Betty;
il fallait arriver a me faire chasser, et pourtant a ne jamais etre
decouvert. Je n'avais pas le temps d'etre triste et malheureux.
Juliette:--Ainsi, tu n'as pas du tout pense a Marianne ni a moi?
Charles:--Au contraire, toujours. Tout ce que je faisais, ce que
j'inventais, c'etait pour vous rejoindre. Et toi, Juliette, pensais-tu a
moi?
Juliette:--Oh! moi, toujours. J'etais inquiete, j'etais triste. Mes
journees ont ete bien penibles en ton absence, mon pauvre Charles!
J'avais si peur que tu ne fisses quelque chose de mal, de reellement
mal!... Tu sais que tu as toujours l'idee de te venger quand on a mal
agi envers toi; et c'est un si mauvais sentiment, si contraire a la
charite que nous commande le bon Dieu! Et quand tu offenses le bon Dieu,
mon pauvre Charles, j'en eprouve une telle peine que je te ferais pitie
si tu voyais le fond de mon coeur!
Charles:--Juliette, chere Juliette, pardonne-moi. Je t'assure que ce
n'est pas expres que je suis mechant.
Juliette:--Je le sais, mon ami; mais tu te laisses trop aller, tu ne
pries pas le bon Dieu de te venir en aide, et alors... tu n'as pas de
soutien et tu tombes!
Charles:--Sois tranquille, Juliette; a present que je serai avec vous
deux, tu verras comme tu seras contente de moi, et comme je t'ecouterai
docilement, sagement."
Juliette sourit, se tut et reprit son tricot.
Charles:--Sais-tu que j'ai bien faim, Juliette; j'ai mange un morceau de
pain sec a huit heures, et il est midi passe.
Juliette:--J'attends Marianne pour diner; mais si tu veux manger une
tranche de pain, tu sais ou il est, prends-en un morceau.
Charles:--Je vais manger une bouchee en attendant; je craignais que tu
n'eusses dine."
Comme il achevait son morceau de pain, Marianne entra.
"Ah! te voila, Charlot, dit-elle en l'embrassant tu t'es donc fait
chasser? Cela ne m'etonne pas, je l'avoue. Prends garde de te faire
chasser aussi par Juliette, qui va t'avoir toute la journee sur le dos.
Charles:--Non, Marianne, je travaillerai: j'irai chez M. le cure, chez
le maitre d'ecole; ils me feront travailler, et je ne vous ennuierai
pas, je ne ferai aucune sottise. Je deviens raisonnable a present.
Marianne, souri
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