maniere de vivre et de combattre, que
j'ai hante des gens notables qui les ont vus de pres dans leurs grandes
entreprises, je me suis enhardi a ecrire, selon mes lumieres, quelque chose
sur eux, et a montrer, sauf correction de la part de ceux qui sont plus
instruits que moi, comment il est possible de reprendre les etats dont ils
se sont empares, et de les battre sur un champ de bataille.
Et d'abord, pour commencer par leur personnel, je dirai que ce sont d'assez
beaux hommes, portant tous de longues barbes, mais de moyenne taille et de
force mediocre. Je sais bien que, dans le langage ordinaire, on dit fort
comme un Turc; cependant j'ai vu une infinite de chretiens qui, dans les
choses ou il faut de la force, l'emportoient sur eux; et moi-meme, qui ne
suis pas des plus robustes, j'en ai trouve, lorsque les circonstances
exigeoient quelque travail, de plus foibles que moi encore.
Ils sont gens diligens, se levent matin volontiers, et vivent de peu en
compagne; se contentant de pain mal cuit, de chair crue sechee au soleil,
de lait soit caille soit non caille, de miel, fromage, raisins, fruits,
herbages, et meme d'une poignee de farine avec laquelle ils feront un
brouet qui leur suffira pour un jour a six ou huit. Ont-ils un cheval ou un
chameau malade sans espoir de guerison, ils lui coupent la gorge et le
mangent. J'en ai ete temoin maintes fois. Pour dormir ils ne sont point
embarasses, et couchent par terre.
Leur habillement consiste en deux ou trois robes de coton l'une sur
l'autre, et qui descendent jusqu'aux pieds. Par-dessus celles-la ils en
portent, en guise de manteau, une autre de feutre qu'on nomme capinat. Le
capinat, quoique leger, resiste a la pluie, et il y en a de tres-beaux et
de tres-fins. Ils ont des bottes qui montent jusqu'aux genoux, et de
grandes braies (calecons), qui pour les uns sont de velours cramoisi, pour
d'autres de soie, de futaine, d'etoffes communes. En guerre ou en route,
pour n'etre point embarrasses de leurs robes, ils les relevent et les
enferment dans leurs calecons; ce qui leur permet d'agir librement.
Leurs chevaux sont bons, coutent peu a nourir, courent bien et longtemps;
mais ils les tiennent tres-maigres et ne les laissent manger que la nuit,
encore ne leur donnent-ils alors que cinq ou six jointees d'orge et le
double de paille picade (hachee): le tout mis dans une besace qu'ils leur
pendent aux oreilles. Au point du jour, ils les brident, les nettoient, les
etrillent
|