ai su prendre le dessus et forcer les mauvaises
langues a se taire.
--En parlant plus haut qu'elles, n'est-ce pas? dit Genevieve en
souriant.
--Oui, oui, en parlant tout haut et en jouant jeu sur table, repondit
Henriette un peu piquee. Tu aurais ete plus sage si tu avais fait comme
moi, ma chere.
--Et qu'appelles-tu jouer jeu sur table?
--Agir hardiment et sans mystere, se servir de sa liberte et narguer
ceux qui le trouvent mauvais, avoir des sentiments pour quelqu'un et
n'en pas rougir; car, apres tout, n'avons-nous pas le droit d'accepter
un galant en attendant un mari?
--Eh bien, ma chere, dit Genevieve un peu sechement, en supposant que
je me sois servi de ce droit reserve aux grisettes et que j'aie les
_sentiments_ qu'on m'attribue, pourquoi donc ma conduite cause-t-elle
tant de scandale?
--Ah! c'est que tu n'y as pas mis de franchise; tu as eu peur, tu t'es
cachee, et l'on fait sur ton compte des suppositions qu'on ne fait pas
sur le notre.
--Et pourquoi? s'ecria Genevieve, irritee enfin; de quoi me suis-je
cachee? de qui pense-t-on que j'aie peur?
--Ah! voila, voila ton orgueil! c'est cela qui te perdra, Genevieve. Tu
veux trop te distinguer. Pourquoi n'as-tu pas fait comme les autres?
pourquoi, du moment que tu as accepte les hommages de ce jeune homme,
ne t'es-tu pas montree avec lui au bal et a la promenade? pourquoi ne
t'a-t-il pas donne le bras dans les rues? pourquoi n'as-tu pas confie a
tes amies, a moi, par exemple, qu'il te faisait la cour? Nous aurions su
a quoi nous en tenir; et, quand on serait venu nous dire: "Genevieve
a donc un amoureux?" nous aurions repondu: "Certainement! pourquoi
Genevieve n'aurait-elle pas un amoureux? Croyez-vous qu'elle ait fait
un voeu? Etes-vous son heritier? Qu'avez-vous a dire?" Et l'on n'aurait
rien dit, parce que, apres tout, cela aurait ete tout simple. Au lieu
de cela, tu as agi sournoisement, tu as voulu conserver ta grande
reputation de vertu et en meme temps ecouter les douceurs d'un homme, tu
as garde ton petit secret fierement, tu as accorde des rendez-vous aux
Pres-Girault. Tu as beau rougir, pardine! tout le monde le sait, va! Ce
grand flandrin de bourrelier qui demeure en face, et qui ne fait pas
d'autre metier que de boire et de bavarder, t'a suivie un beau matin. Il
a vu M. Andre de Morand qui t'attendait au bord de la riviere et qui est
venu t'offrir son bras, que tu as accepte tout de suite. Le lendemain
et tous les jours de la semain
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