Genevieve,
dont la gloire l'avait si longtemps eclipsee, tomber dans la meme
disgrace aux yeux du public.
Genevieve, restee seule, s'apercut que la franchise d'Henriette lui
avait fait du bien. En elargissant la blessure de son orgueil, les
reproches et les consolations de la couturiere lui avaient inspire un
profond dedain pour les basses attaques dont elle etait l'objet. Deux
mois auparavant, Genevieve, heureuse surtout d'etre ignoree et oubliee,
n'eut pas aussi courageusement meprise la sotte colere de ces oisifs.
Mais depuis qu'une rapide education avait retrempe son esprit, elle
sentait de jour en jour grandir sa force et sa fierte. Peut-etre se
glissait-il secretement un peu de vanite dans la comparaison qu'elle
faisait entre elle et toutes ces mesquines jalousies de province, ou les
plus importants etaient les plus sots, et ou elle ne trouvait a aucun
etage un esprit a la hauteur du sien. Mais ce sentiment involontaire de
sa superiorite etait bien pardonnable au milieu de l'effervescence d'un
cerveau subitement eclaire du jour etincelant de la science. Genevieve
gravissait si vite des hauteurs inaccessibles aux autres, qu'elle
avait le vertige et ne voyait plus tres-clairement ce qui se passait
au-dessous d'elle.
Elle se persuada que les clameurs d'une populace d'idiots ne monteraient
pas jusqu'a elle, et qu'elle etait invulnerable a de pareilles
atteintes. Elle aurait eu raison s'il y avait au ciel ou sur la terre
une puissance equitable occupee de la defense des justes et de la
repression des impudents; mais elle se trompait, car les justes sont
faibles et les impudents sont en nombre. Elle s'assit tranquillement
aupres de la fenetre et se mit a travailler. Le soleil couchant envoyait
de si vives lueurs dans sa chambre, que tout prenait une couleur de
pourpre, et les murailles blanches de son modeste atelier, et sa robe de
guingan, et les pales feuilles de rose que ses petites mains etaient en
train de decouper. Cette riche lumiere eut une influence soudaine sur
ses idees. Genevieve avait toujours eu un vague sentiment de la poesie;
mais elle n'avait jamais aussi nettement apercu le rapport qui unit les
impressions de l'esprit et les beautes exterieures de la nature. Cette
puissance se revela soudainement a elle en cet instant. Une emotion
delicieuse, une joie inconnue, succederent a ses ennuis. Tout en
travaillant avec ardeur, elle s'eleva au-dessus d'elle-meme et de toutes
les choses reelles qui l'entour
|