jet d'etudes; il ne voyait plus les choses qui eussent pu blesser
ses principes; il ne revait que belles matinees de soleil, longues
promenades, precipices a franchir, solitudes a explorer; et pourtant il ne
rapportait ni croquis, ni plantes, ni echantillons de mineralogie, comme il
l'eut fait en tout autre temps.
La vie de campagne lui plaisait par-dessus tout, le pays etait le plus beau
du monde, le grand air et l'exercice du cheval lui faisaient un bien
extreme; enfin, tout etait pour le mieux, pourvu qu'on le laissat courir;
et s'il tombait dans la reverie, il en sortait par un sourire qui semblait
dire:
"J'ai en moi de quoi m'occuper, et ce que vous me dites n'est rien aupres
de ce que je pense."
Si, par quelque artifice, M. Cardonnet reussissait a le retenir, il
paraissait brise un instant, et puis tout a coup resigne, comme un homme
qu'il est impossible de deposseder de son fonds de bonheur; il se hatait
d'obeir et se mettait a la tache pour avoir plus tot fini.
"Il y a une jolie fille au fond de tout cela! se dit M. Cardonnet, et
l'amour rend docile cette ame rebelle. C'est fort bon a savoir. La fievre
philosophique et raisonneuse peut donc faire place a une soif de plaisir ou
a des reveries sentimentales! J'etais bien fou de ne pas compter sur la
jeunesse et sur les passions! Laissons souffler cet orage, il emportera
l'obstacle auquel je me serais brise; et quand il sera temps, d'arreter
l'orage, j'y aviserai. Depeche-toi de courir et d'aimer, mon pauvre Emile!
Il en est de toi comme du torrent qui me fait la guerre: tous deux vous
vous soumettrez quand vous sentirez la main du maitre!"
M. Cardonnet n'avait pas la conscience de sa cruaute. Il ne croyait pas a
la force et a la duree de l'amour, et n'attachait pas plus d'importance a
un desespoir de jeune homme qu'a des larmes d'enfant.
S'il eut pense que mademoiselle de Chateaubrun pouvait devenir victime de
son plan d'attente, il s'en fut fait conscience peut-etre. Mais ici
l'esprit de propriete et le _chacun pour soi_ l'empechaient de prevoir le
mal d'autrui.
"C'est l'affaire du vieux Antoine de garder sa fille, pensait-il, si
l'ivrogne s'endort sur ses propres dangers, il a du moins une servante
maitresse qui n'a rien de mieux a faire qu'a mettre, le soir, dans sa poche
la clef du fameux pavillon. On peut, quand il en sera temps, ouvrir les
yeux de la duegne."
Dans cette persuasion, il laissa Emile a peu pres libre de son temps et de
ses dema
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