me sens
capable d'en remplir les devoirs, et d'apprecier les bienfaits de la
votre."
M. de Boisguilbault prit encore la main d'Emile et la serra, cette fois,
bien franchement, sans rien repondre.
A la clarte de la lune qui montait dans le firmament, le jeune homme vit
une grosse larme briller un instant sur la joue fletrie du vieillard et se
perdre dans ses favoris argentes.
Emile avait vaincu; il en etait heureux et fier.
La jeunesse d'aujourd'hui professe un dedain odieux pour la vieillesse, et
notre heros, tout au contraire, mettait un legitime orgueil a triompher de
la reserve et de la mefiance de cet homme malheureux et respectable.
Il se sentait flatte d'apporter quelque consolation a ce patriarche
abandonne, et de reparer envers lui l'oubli ou l'injustice des autres.
Il se promena longtemps avec lui dans son beau parc, et lui fit encore des
questions dont l'ingenuite confiante ne deplut point au marquis.
Il s'etonnait, par exemple, que, riche et independant de tout lien de
famille, M. de Boisguilbault n'eut pas essaye d'aborder la pratique, et de
fonder quelque etablissement d'association.
"Cela me serait impossible, repondit le vieillard. Je n'ai aucune
initiative dans l'esprit et le caractere; ma paresse est invincible, et de
ma vie, je n'ai pu agir sur les autres. J'y serais moins propre que jamais,
d'autant plus qu'il ne s'agirait pas seulement d'avoir un plan
d'organisation simple et applicable au present, il faudrait encore des
formules religieuses et morales, une predication de principes et de
sentiment.
"Je reconnais la necessite du sentiment pour convaincre les ames; mais ceci
n'est pas de mon ressort. Je n'ai pas la faculte de me livrer et de
m'epancher, et mon coeur n'a plus assez de vie pour communiquer l'eloquence
a ma parole.
"Je crois aussi que le temps n'est pas venu ... vous ne le croyez pas,
vous? Eh bien, je ne veux pas vous oter cette conviction; vous etes taille
pour les entreprises difficiles, et puissiez-vous trouver l'occasion
d'agir!
"Quant a moi, j'ai des projets pour plus tard ... pour apres ma mort. Je
vous les dirai peut-etre quelque jour ... Regardez ce beau jardin que j'ai
cree ... ce n'est pas sans intention ... mais je veux vous connaitre mieux
avant de m'expliquer; me le pardonnez-vous?
--Je m'y soumets, et je suis certain d'avance que votre predilection pour
ce paradis terrestre n'est pas une pure manie de proprietaire oisif.
--J'ai pourtant commence
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