oulez. A quelle heure?
--Dix heures.
Comme dix heures sonnaient le lendemain, on frappa a la porte d'Adeline,
et dans son petit salon entra un homme de quarante-cinq ans, de tournure
militaire, correctement habille comme tout le monde et avec aisance, les
mains gantees; la tete etait energique, le visage montrait des traits
detendus et fatigues comme ceux des comediens qui ont exprime toute la
gamme des passions, mais ce qui frappait plus encore chez lui, c'etait
de beaux yeux noirs brillants qui semblaient devoir embrasser, sans
mouvements apparents, un rayon visuel plus considerable qu'il n'est
donne a une vue ordinaire.
--Je viens de la part de M. le prefet de police.
En quelques mots, Adeline expliqua ce qu'il attendait de lui.
--Tres bien, monsieur; vous voudrez bien me presenter comme... une
personne de votre connaissance.
--Assurement; votre nom?
--Nous dirons Dantin, si vous voulez bien; c'est un nom commode, noble
ou bourgeois, selon les dispositions de celui qui l'entend et lui met ou
ne lui met pas d'apostrophe.
Dantin allait se retirer; Adeline le retint.
--M. le prefet m'a dit que vous connaissiez toutes les tricheries des
grecs.
--Toutes, non; car on en invente tous les jours, qu'on apporte toutes
neuves dans les cercles, mais je connais a peu pres toutes celles qui
ont servi; quant aux inedites, une certaine experience me permet de les
deviner quelquefois!
--M. le prefet m'a dit que vous operiez vous-meme d'une facon
surprenante.
--M. le prefet est trop bon; j'ai acquis un certain doigte. Au reste, je
me mets a votre disposition, et si vous voulez que je vous donne une...
seance, je suis pret. Vous avez des cartes.
Mais Adeline n'avait pas de cartes, il fallait en envoyer chercher.
Quand on les apporta, Dantin, qui s'etait assis devant le bureau
d'Adeline, les prit, les mela, et, tout en causant, parut les examiner
assez legerement.
--Elles sont bien minces, mais enfin elles seront suffisantes, je
l'espere.
Il les etala sur le bureau et les remua a deux mains avec de grands
mouvements des epaules et des coudes; puis, les ayant rassemblees, il
les posa en tas devant Adeline.
--Si vous voulez couper: bas, haut, comme vous voudrez. Maintenant si
vous voulez bien me designer le neuf que vous desirerez, je vais vous le
donner; vous voyez que ni la carte de dessus ni celle de dessous ne sont
des neuf.
Adeline demanda le neuf de pique et ne quitta pas des yeux les doigt
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