ressources que celle d'un adroit emprunt de temps en temps ou
d'un jeton legerement cueilli au passage. Pourvu qu'ils aient en poche
le prix du dejeuner ou du diner, ils ne quittent pas le cercle. Tout
ce que l'on peut consommer pour le prix fixe, ils l'absorbent ou le
devorent, mais sans jamais se permettre la prodigalite d'un extra, meme
quand il ne coute que quelques sous. A peine osent-ils plier le pied
en marchant, de peur que leurs semelles usees ne quittent tout a fait
l'empeigne de leurs bottines, mais ils n'en sont pas moins les plus
exigeants a se faire passer leur pardessus par les valets de pied:
"Valet de pied", ils sont fiers d'entendre cet appel dans leur bouche,
et n'ont pas honte du sourire de mepris avec lequel on les sert.
--Mon cher president....
Adeline connaissait trop bien cette ritournelle pour ne pas deviner la
chanson qu'elle allait amener: "Vingt-cinq louis, dix louis, un louis,
mon cher president." Il etait difficile de refuser ces pauvres diables
dont plusieurs portaient des noms autrefois honorables et que le jeu
avait roules dans ces bas-fonds.
Mais si ces demandes qu'il attendait jusqu'a un certain point ne
l'avaient pas surpris, il y en avait une qui l'avait reellement
stupefie.
Comme, vers trois heures du matin, il se disposait enfin a rentrer chez
lui, il avait trouve, dans le hall Salzman, qui se disposait aussi a
partir.
Ils avaient endosse leurs pardessus en meme temps, et, en meme temps
aussi, ils avaient descendu l'escalier.
--Vous rentrez chez vous, mon president? demanda Salzman.
--Sans doute.
--Eh bien, si vous le voulez, nous irons ensemble jusqu'a la place de
l'Opera.
Ordinairement, Adeline rentrait a pied chez lui; apres avoir joue, la
marche le calmait et rafraichissait son sang; quelquefois meme, pour
mieux se remettre, il prenait le chemin le plus long; mais c'etait leger
d'argent qu'il faisait cette promenade nocturne et les voleurs qui
l'eussent arrete auraient perdu leur temps; tandis que ce matin-la, il
avait plus de quatre vingt mille francs en billets de banque dans ses
poches.
--Je vais prendre une voiture, repondit-il.
--Alors, avant de nous separer, je vous demande un moment d'entretien,
deux minutes.
L'heure etait etrangement choisie, alors surtout que quelques instants
auparavant cet entretien pouvait avoir lieu plus commodement pour tous
les deux; cependant Adeline ne refusa pas ces deux minutes.
--Volontiers.
Ils etaient arr
|