avait derriere elle une accusation qui
s'adressait a lui.
Il resta etourdi sous le coup dont cette pensee le frappa: "L'affaire
n'aura pas de suite!" On croyait donc que, comme il avait pris la suite
de Salzman, il allait la prendre encore, et de nouveau gagner comme il
avait gagne ce soir-la; c'est-a-dire que l'injure faite a Salzman en lui
battant les cartes rejaillissait sur lui.
Il ne dormit pas cette nuit-la, et jusqu'au jour il tourna et retourna
cette idee dans sa tete affolee.
Depuis qu'il vivait dans son cercle, il avait eu les oreilles rebattues
d'histoires de tricheries, et vingt fois, cent fois il avait vu les
soupcons s'attaquer aux gens qui a ses yeux etaient les plus honorables;
cependant jamais l'idee ne lui etait venue qu'un jour on pourrait le
soupconner lui-meme.
Bien qu'il eut toujours ete d'humeur pacifique et que l'age n'eut
fait que confirmer ses dispositions naturelles, il n'etait pas homme
cependant a repondre a ce soupcon qui montait jusqu'a lui, comme l'avait
fait Salzman. Il attendit le matin impatiemment, et aussitot que l'heure
fut arrivee ou il avait chance de rencontrer au cercle quelqu'un qui put
lui donner le nom et l'adresse de ce joueur qu'il ne connaissait point,
il partit pour l'avenue de l'Opera. Mais justement il ne rencontra
personne pour lui repondre: tous ceux qui avaient assiste a la scene de
la nuit etaient encore chez eux a dormir, et le personnel de service a
cette heure matinale ne savait rien: un garcon croyait que ce joueur
etait un creole, mais il ne l'affirmait pas; par qui avait il ete
presente ou amene? il l'ignorait; sans doute M. de Mussidan, M. Maurin,
M. Barthelasse ou Camy le connaissaient.
Il fallut qu'Adeline attendit encore. Le premier qui arriva fut Maurin;
mais comme a l'ordinaire il ne savait rien, car dans ce cercle dont il
etait gerant en nom, tout lui passait par-dessus la tete et Frederic
l'avait si bien annihile, si bien terrorise, qu'il avait pris la
prudente habitude de ne rien voir, pas meme ce qui lui crevait les yeux;
comme cela il ne risquait pas de se compromettre: "Je chercherai, je
reflechirai, comptez sur moi", etaient les trois seules reponses qu'il
se permit, lorsqu'on lui demandait quelque chose, et il n'en demordait
pas. C'etait aupres de Frederic qu'il cherchait, et ce que celui-ci
voulait qu'il dit, il le repetait consciencieusement, sans y rien
ajouter, sans en rien retrancher. Ce fut ainsi qu'il se tira d'affaire
avec Adel
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