ent, comme moi, mon intendant, deux laboureurs de France
et une vieille cuisiniere cueillie a Alger.
Je montai mon escalier et je fus surpris en remarquant un filet de
clarte sous ma porte. Je l'ouvris, et j'apercus en face de moi, assise
sur une chaise de paille a cote de la table ou brulait une bougie, une
fille au visage d'idole, qui semblait m'attendre avec tranquillite,
paree de tous les bibelots d'argent que les femmes du Sud portent
aux jambes, aux bras, sur la gorge et jusque sur le ventre. Ses yeux
agrandis par le khol jetaient sur moi un large regard; et quatre petits
signes bleus finement tatoues sur la chair etoilaient son front, ses
joues et son menton. Ses bras, charges d'anneaux, reposaient sur ses
cuisses que recouvrait, tombant des epaules, une sorte de gebba de soie
rouge dont elle etait vetue.
En me voyant entrer, elle se leva et resta devant moi, debout, couverte
de ses bijoux sauvages, dans une attitude de fiere soumission.
--Que fais-tu ici, lui dis-je en arabe.
--J'y suis parce qu'on m'a ordonne de venir.
--Qui te l'a ordonne?
--Mohammed.
--C'est bon. Assieds-toi.
Elle s'assit, baissa les yeux, et je demeurai devant elle, l'examinant.
La figure etait etrange, reguliere, fine et un peu bestiale, mais
mystique comme celle d'un Boudha. Les levres, fortes et colorees d'une
sorte de floraison rouge qu'on retrouvait ailleurs sur son corps,
indiquaient un leger melange de sang noir, bien que les mains et les
bras fussent d'une blancheur irreprochable.
J'hesitais sur ce que je devais faire, trouble, tente et confus. Pour
gagner du temps et me donner le loisir de la reflexion, je lui posai
d'autres questions, sur son origine, son arrivee dans ce pays et
ses rapports avec Mohammed. Mais elle ne repondit qu'a celles qui
m'interessaient le moins et il me fut impossible de savoir pourquoi elle
etait venue, dans quelle intention, sur quel ordre, depuis quand, ni ce
qui s'etait passe entre elle et mon serviteur.
Comme j'allais lui dire: "Retourne sous la tente de Mohammed", elle
me devina peut-etre, se dressa brusquement et levant ses deux bras
decouverts dont tous les bracelets sonores glisserent ensemble vers ses
epaules, elle croisa ses mains derriere mon cou en m'attirant avec un
air de volonte suppliante et irresistible.
Ses yeux, allumes par le desir de seduire, par ce besoin de vaincre
l'homme qui rend fascinant comme celui des felins le regard impur
des femmes, m'appelaient, m'
|