la d'etre depute. Tous ces gredins me
servent pour mon election; et cette election m'est trop necessaire pour
que je m'expose a perdre la moindre chance... En deux mots, voici la
situation. Non-seulement, le bey entend ne pas me rendre l'argent que je
lui ai prete, il y a un mois; mais a mon assignation, il a repondu par
une demande reconventionnelle de quatre-vingts millions, chiffre auquel
il estime l'argent que j'ai soutire a son frere... Cela, c'est un vol
epouvantable, une audacieuse calomnie... Ma fortune est a moi, bien a
moi... Je l'ai gagnee dans mes trafics de commissionnaire. J'avais la
faveur d'Ahmed; lui-meme m'a fourni l'occasion de m'enrichir... Que
j'aie serre la vis quelquefois un peu fort, bien possible. Mais il ne
faut pas juger la chose avec des yeux d'Europeen... La-bas, c'est connu
et recu, ces gains enormes que font les Levantins; c'est la rancon des
sauvages qui nous initions au bien-etre occidental... Ce miserable
Hemerlingue, qui suggere au bey toute cette persecution contre moi, en a
bien fait d'autres... Mais a quoi bon discuter? Je suis dans le gueule
du loup. En attendant que j'aille m'expliquer devant ses tribunaux,--je
la connais, la justice d'Orient,--le bey a commence par mettre l'embargo
sur tous mes biens, navires, palais et ce qu'ils contiennent...
L'affaire a ete conduite tres regulierement, sur un decret du
Conseil-Supreme. On sent la patte d'Hemerlingue fils la-dessous... Si
je suis depute, ce n'est qu'une plaisanterie. Le Conseil rapporte son
decret, et l'on me rend mes tresors avec toutes sortes d'excuses. Si je
ne suis pas nomme, je perds tout, soixante, quatre-vingts millions, meme
la possibilite de refaire ma fortune; c'est la ruine, le deshonneur, le
gouffre... Voyons, mon fils, est-ce que vous allez m'abandonner dans une
crise pareille?... Songez que je n'ai que vous au monde... Ma femme?
vous l'avez vue, vous savez quel soutien, quel conseil, elle est pour
son mari... Mes enfants? C'est comme si je n'en avais pas. Je ne les
vois jamais, a peine s'ils me reconnaitraient dans la rue... Mon
horrible luxe a fait le vide des affections autour de moi, les a
remplacees par des interets effrontes... Je n'ai pour m'aimer que ma
mere, qui est loin, et vous, qui me venez de ma mere... Non, vous ne
me laisserez pas seul parmi toutes les calomnies qui rampent autour de
moi... C'est terrible, et vous saviez... Au cercle, au theatre,
partout ou je vais, j'apercois la petite tete de vipere
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