ait ma tante. M.
de Champre etait vieux et songeait peu a moi. Il etait riche: on parlait
de mon bonheur. Mariee depuis un an a peine, j'etais veuve deja; et
depuis, si l'amitie pouvait nous suffire, j'aurais vecu bien heureuse
avec la votre. Helas! je n'ai pas su me contenter de cette sympathie qui
m'a donne tous les instants de joie que j'ai eprouves ici-bas. Il
me fallait une autre affection plus absolue, plus exclusive, plus
vivifiante, dont tous ont besoin au monde, mais qui nous est parfois
peut-etre plus indispensable qu'aux hommes.
Nee orpheline, pour ainsi dire, puisque j'ai perdu mon pere et ma mere
avant de savoir prononcer leur nom, j'ai passe, ainsi que je vous le
disais, toute mon enfance chez cette tante dont je vous parlais tout a
l'heure, qui m'aimait certainement, mais qui n'avait pas pour moi ces
mille petits soins qui consistent en caresses, en sourires, en gateries
de toutes sortes enfin, et qui apprennent la tendresse aux enfants.
Ici, ma sante, deja faible, s'est graduellement affaiblie: avec lenteur
au commencement, mais a present je sens bien que je m'en vais plus vite
chaque jour.
Mon medecin a beau dire, et faire son possible pour me persuader que
c'est la une langueur passagere: je sais qu'au fond, lui-meme a bien peu
d'espoir.
Je suis si changee, moralement! Si vous me voyiez, Cecile, ma belle
aimee! Il me semble que je n'aimerais plus le monde, ni ses bruits, ni
ses fetes, dont je ne pouvais me passer autrefois. Maintenant je
suis triste. Je me plais a rever, le soir, seule sur ma terrasse, en
regardant les nuages courir dans l'azur qui s'etend infini devant moi,
et je me suis surprise deux fois a songer aux vies futures et a me voir
morte. Morte! pour ce monde ou vous brillez, ou j'ai brille aussi et
dont j'ai ete si folle dans le temps.
Combien tout cela est etrange!
Mais je vois bien decidement que je suis d'un egoisme insense, ne vous
parlant que de moi depuis plus d'une heure et ne songeant meme pas a
demander a ma meilleure amie quelle est sa vie, moi qui, vous le savez
bien, n'est-ce pas? suis si heureuse de vos plaisirs et si triste de vos
tristesses!
Ecrivez-moi, Cecile. Il me semble qu'en lisant vos lettres, je jetterai
un dernier regard sur mon existence passee, a jamais perdue. Et il
est si doux de se rappeler, de faire revivre un peu son coeur dans la
melancolie calme et involontaire qui est la compagne inseparable du
souvenir! Parlez-moi de vos soirees, de vos
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