s: je vous y generais. Or, jamais
notre amitie ne doit etre, je ne dis pas alteree, mais meme
effleuree par une pensee secrete. Je vous aurai donne le trone de
France, vous me donnerez le trone de saint Pierre. Quand votre
main loyale, ferme et armee aura pour main jumelle la main d'un
pape tel que je le serai, ni Charles-Quint, qui a possede les deux
tiers du monde, ni Charlemagne, qui le posseda entier, ne
viendront a la hauteur de votre ceinture. Je n'ai pas d'alliance,
moi, je n'ai pas de prejuges, je ne vous jette pas dans la
persecution des heretiques, je ne vous jetterai pas dans les
guerres de famille; je dirai: "A nous deux l'univers; a moi pour
les ames, a vous pour les corps." Et, comme je mourrai le premier,
vous aurez mon heritage. Que dites-vous de mon plan, monseigneur?
-- Je dis que vous me rendez heureux et fier, rien que de vous
avoir compris, monsieur d'Herblay, vous serez cardinal; cardinal,
vous serez mon premier ministre. Et puis vous m'indiquerez ce
qu'il faut faire pour qu'on vous elise pape; je le ferai.
Demandez-moi des garanties.
-- C'est inutile. Je n'agirai jamais qu'en vous faisant gagner
quelque chose; je ne monterai jamais sans vous avoir hisse sur
l'echelon superieur; je me tiendrai toujours assez loin de vous
pour echapper a votre jalousie, assez pres pour maintenir votre
profit et surveiller votre amitie. Tous les contrats en ce monde
se rompent, parce que l'interet qu'ils renferment tend a pencher
d'un seul cote. Jamais entre nous il n'en sera de meme; je n'ai
pas besoin de garanties.
-- Ainsi... mon frere... disparaitra?...
-- Simplement. Nous l'enleverons de son lit par le moyen d'un
plancher qui cede a la pression du doigt. Endormi sous la
couronne, il se reveillera dans la captivite. Seul, vous
commanderez a partir de ce moment, et vous n'aurez pas d'interet
plus cher que celui de me conserver pres de vous.
-- C'est vrai! Voici ma main, monsieur d'Herblay.
-- Permettez-moi de m'agenouiller devant vous, Sire, bien
respectueusement. Nous nous embrasserons le jour ou tous deux nous
aurons au front, vous la couronne, moi la tiare.
-- Embrassez-moi aujourd'hui meme, et soyez plus que grand, plus
qu'habile, plus que sublime genie: soyez bon pour moi, soyez mon
pere!
Aramis faillit s'attendrir en l'ecoutant parler. Il crut sentir
dans son coeur un mouvement jusqu'alors inconnu; mais cette
impression s'effaca bien vite.
"Son pere! pensa-t-il. Oui, Saint-Pere!"
Et
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