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-- Sans doute; c'est du moins ce que j'eusse fait a votre place.
Quand on m'ouvre une porte, j'en profite.
-- Eh bien! oui, merci, j'en ai profite.
-- Et vous avez bien fait, morbleu! Chacun a ses petits secrets
qui ne regardent pas les autres. Mais revenons a Aramis,
monseigneur.
-- Eh bien! je vous dis, vous aurez appele trop bas, et il n'aura
pas entendu.
-- Si bas qu'on appelle Aramis, monseigneur, Aramis entend
toujours quand il a interet a entendre. Je repete donc ma phrase:
Aramis n'etait pas chez lui, monseigneur, ou Aramis a eu, pour ne
pas reconnaitre ma voix, des motifs que j'ignore et que vous
ignorez peut-etre vous-meme, tout votre homme-lige qu'est Sa
Grandeur Mgr l'eveque de Vannes.
Fouquet poussa un soupir, se leva, fit trois ou quatre pas dans la
chambre, et finit par aller s'asseoir, avec une expression de
profond abattement, sur son magnifique lit de velours, tout garni
de splendides dentelles.
D'Artagnan regarda Fouquet avec un sentiment de profonde pitie.
-- J'ai vu arreter bien des gens dans ma vie, dit le mousquetaire
avec melancolie, j'ai vu arreter M. de Cinq-Mars, j'ai vu arreter
M. de Chalais. J'etais bien jeune. J'ai vu arreter M. de Conde
avec les princes, j'ai vu arreter M. de Retz, j'ai vu arreter
M. Broussel. Tenez, monseigneur, c'est facheux a dire, mais celui
de tous ces gens-la a qui vous ressemblez le plus en ce moment,
c'est le bonhomme Broussel. Peu s'en faut que vous ne mettiez,
comme lui, votre serviette dans votre portefeuille, et que vous ne
vous essuyiez la bouche avec vos papiers. Mordioux! monsieur
Fouquet, un homme comme vous n'a pas de ces abattements-la. Si vos
amis vous voyaient!...
-- Monsieur d'Artagnan, reprit le surintendant avec un sourire
plein de tristesse, vous ne comprenez point: c'est justement parce
que mes amis ne me voient pas, que je suis tel que vous me voyez,
vous. Je ne vis pas tout seul, moi! je ne suis rien tout seul.
Remarquez bien que j'ai employe mon existence a me faire des amis
dont j'esperais me faire des soutiens. Dans la prosperite, toutes
ces voix heureuses, et heureuses par moi, me faisaient un concert
de louanges et d'actions de graces. Dans la moindre defaveur, ces
voix plus humbles accompagnaient harmonieusement les murmures de
mon ame. L'isolement, je ne l'ai jamais connu. La pauvrete,
fantome que parfois j'ai entrevu avec ses haillons au bout de ma
route! la pauvrete, c'est le spectre avec lequel plusieurs de mes
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