de sa bouche en ces heures emues. La Fayette, qui
raconte ce detail et qui rappelle les chevaleresques paroles sur ce
sang fidele d'ou la monarchie renaitrait un jour, ne peut s'empecher
d'ajouter: "Constant (_Benjamin Constant qui etait de la conference_) se
mit a rire du dedommagement qu'on m'offrait." Et, en effet, la position
de La Fayette en ce moment, au pied du trone des Bourbons, parait bien
fausse, surtout lorsqu'on a lu le jugement qu'il portait d'eux pendant
1814. Je ne dis pas que sa situation eut ete plus vraie en se ralliant
a Bonaparte; pourtant je le concevrais mieux: il n'y aurait rien eu du
moins qui pretat a rire.
[Note 95: Tome V.]
Carnot, je le sais, n'avait pas les memes engagements que La Fayette,
ni les memes scrupules solennels de liberte; mais en ces crises de
1814-1815, sa conduite envers Bonaparte repond bien mieux, en fait, et
sans marchander, a l'instinct national et revolutionnaire.
Une remarque encore sur le factice, deja signale, qui s'introduit dans
ces roles individuels en politique. Si Benjamin Constant n'avait pas ete
la fort a propos pour eclater de rire (ce qui est bien de lui) sur le
point comique au milieu de la circonstance sombre, l'homme d'esprit chez
La Layette se serait contente de sourire tout bas, et on ne l'aurait pas
su.
Cet instant d'embarras a part, la conduite de La Fayette rentre bien
vite dans sa rectitude incontestee, et elle se rapporte, durant toute la
Restauration, a des sympathies generales trop partagees et encore trop
recentes pour qu'il ne soit pas superflu de rien developper ici. Rentre
a la Chambre elective en 1818, il vit le parti _liberal_ se former, et,
autant qu'aucun chef d'alors, il y aida. C'etait, apres tout, cette meme
masse moyenne et flottante de laquelle il ecrivait en 1799: "La partie
plus ou moins pensante de la nation ne fut jamais contre-revolutionnaire
qu'en desespoir de toute autre maniere de se debarrasser de la tyrannie
conventionnelle, pour laquelle on a bien plus de degout encore.
Donnez-lui des institutions liberales, un regime consequent et
d'honnetes gens, vous la verrez revenir a leurs idees des premieres
annees de la Revolution, avec moins d'enthousiasme pour la liberte, mais
avec une crainte de la tyrannie et un amour de la tranquillite qui lui
fera detester tout remuement aristocrate ou jacobin." L'enthousiasme
meme semblait revenu, depuis 1815, sous le coup de tant de sentiments
et d'interets sans cesse froisses; on s'
|