ne discretion a toute epreuve,
par une intelligence admirable de tous les sentiments, les besoins, les
voeux de mon coeur; et tout cela mele a un sentiment si tendre, a une
opinion si exaltee, a un culte, si j'ose dire, si doux et si flatteur,
surtout de la personne la plus parfaitement naturelle et sincere qui ait
jamais existe?
"C'est lundi que cette angelique femme a ete portee, comme elle l'avait
demande, aupres de la fosse ou reposent sa grand'mere, sa mere et sa
soeur, confondues avec seize cents victimes[94]; elle a ete placee
a part, de maniere a rendre possibles les projets futurs de notre
tendresse. J'ai reconnu moi-meme ce lieu lorsque George m'y a conduit
jeudi dernier, et que nous avons pu nous agenouiller et pleurer
ensemble.
[Note 94: Dans le cimetiere de Piepus.]
"Adieu, mon cher ami; vous m'avez aide a surmonter quelques accidents
bien graves et bien penibles auxquels le nom de malheur peut etre donne
jusqu'a ce qu'on ait ete frappe du plus grand des malheurs du coeur:
celui-ci est insurmontable; mais, quoique livre a une douleur profonde,
continuelle, dont rien ne me dedommagera; quoique devoue a une pensee,
un culte hors de ce monde (et j'ai plus que jamais besoin de croire
que tout ne meurt pas avec nous), je me sens toujours susceptible
des douceurs de l'amitie... Et quelle amitie que la votre, mon cher
Maubourg!
"Je vous embrasse en son nom, au mien, au nom de tout ce que vous avez
ete pour moi depuis que nous nous connaissons."
La Fayette rentre en scene en 1815, et, a part deux ou trois annees de
retraite encore au commencement de la seconde Restauration, on peut dire
qu'il ne quitte plus son role actif jusqu'a sa mort. Un ecrit assez
considerable et inacheve[95] expose la situation publique et sa propre
attitude en 1814 et 1815. En la faisant bien comprendre dans son
ensemble, il reste un point auquel il reussit difficilement a nous
accoutumer: c'est lorsqu'aux Cent-Jours, et Bonaparte arrivant sur
Paris, La Fayette, qui s'est rendu a une conference chez M. Laine,
propose de defendre la capitale contre le grand ennemi; il se trouve
seul de cet avis energique avec M. de Chateaubriand. Mais M. de
Chateaubriand, c'est tout simple, en proposant de mourir en armes,
s'il le fallait, autour du trone des Bourbons, voyait pour l'idee
monarchique, dans ce sang noblement verse, une semence glorieuse et
feconde; il motivait son opinion dans des termes approchants et avec cet
eclat qu'on concoit
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