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Veut qu'il soit seul pendant la nuit qui le fait roi.
Au seuil de la foret, un clerc lui donne a boire
Un vin mysterieux verse dans un ciboire,
Qui doit, le soir venu, l'endormir jusqu'au jour;
Puis on le laisse, il part et monte dans la tour;
Il trouve dans la salle une table dressee;
Il soupe et dort; et l'ombre envoie a sa pensee
Tous les spectres des rois depuis le duc Bela:
Nul n'oserait entrer au burg cette nuit-la;
Le lendemain, on vient en foule, on le delivre;
Et, plein des visions du sommeil, encore ivre
De tous ces grands aieux qui lui sont apparus,
On le mene a l'eglise ou dort Borivorus;
L'eveque lui benit la bouche et la paupiere,
Et met dans ses deux mains les deux haches de pierre
Dont Attila frappait juste comme la mort,
D'un bras sur le midi, de l'autre sur le nord.
Ce jour-la, sur les tours de la ville, on arbore
Le menacant drapeau du marquis Swantibore
Qui lia dans les bois et fit manger aux loups
Sa femme et le taureau dont il etait jaloux.
Meme quand l'heritier du trone est une femme,
Le souper de la tour de Corbus la reclame;
C'est la loi; seulement, la pauvre femme a peur.
V
LA MARQUISE MAHAUD
La niece du dernier marquis, Jean le Frappeur,
Mahaud, est aujourd'hui marquise de Lusace.
Dame, elle a la couronne, et, femme, elle a la grace.
Une reine n'est pas reine sans la beaute.
C'est peu que le royaume, il faut la royaute.
Dieu dans son harmonie egalement emploie
Le cedre qui resiste et le roseau qui ploie,
Et, certes, il est bon qu'une femme parfois
Ait dans sa main les moeurs, les esprits et les lois,
Succede au maitre altier, sourie au peuple, et mene,
En lui parlant tout bas, la sombre troupe humaine;
Mais la douce Mahaud, dans ces temps de malheur,
Tient trop le sceptre, helas! comme on tient une fleur;
Elle est gaie, etourdie, imprudente et peureuse.
Toute une Europe obscure autour d'elle se creuse;
Et, quoiqu'elle ait vingt ans, on a beau la prier,
Elle n'a pas encor voulu se marier.
Il est temps cependant qu'un bras viril l'appuie;
Comme l'arc-en-ciel rit entre l'ombre et la pluie,
Comme la biche joue entre le tigre et l'ours,
Elle a, la pauvre belle aux purs et chastes jours,
Deux noirs voisins qui font une noire besogne,
L'empereur d'Allemagne et le roi de Pologne.
VI
LES DEUX VOISINS
Toute la difference entre ce sombre roi
Et ce sombre empereur, sans
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