e toit, et enfin sur le faite, au
milieu des ardoises, les lucarnes des mansardes, rondes,
[5]coquettes, encadrees de guirlandes comme des miroirs.
Avec cela un grand perron de pierre, ronge et verdi par
la pluie, une vigne maigre qui s'accroche aux murs, aussi
noire, aussi tordue que la corde qui se balance la-haut a
la poulie du grenier, je ne sais quel grand air de vetuste et
[10]de tristesse... C'est l'ancien hotel de Nesmond.
En plein jour, l'aspect de l'hotel n'est pas le meme. Les
mots: Caisse, Magasin, Entree des ateliers eclatent partout
en or sur les vieilles murailles, les font vivre, les
rajeunissent. Les camions des chemins de fer ebranlent
[15]le portail; les commis s'avancent au perron la plume a
l'oreille pour recevoir les marchandises. La cour est
encombree de caisses, de paniers, de paille, de toile
d'emballage. On se sent bien dans une fabrique... Mais avec
la nuit, le grand silence, cette lune d'hiver qui, dans le
[20]fouillis des toits compliques, jette et entremele des ombres,
l'antique maison des Nesmond reprend ses allures seigneuriales.
Les balcons sont en dentelle; la cour d'honneur
s'agrandit, et le vieil escalier, qu'eclairent des jours
inegaux, vous a des recoins de cathedrale, avec des niches
[25]vides et des marches perdues qui ressemblent a des autels.
Cette nuit-la surtout, M. Majeste trouve a sa maison
un aspect singulierement grandiose. En traversant la
cour deserte, le bruit de ses pas l'impressionne. L'escalier
lui parait immense, surtout tres lourd a monter. C'est le
[30]reveillon sans doute... Arrive au premier etage, il
s'arrete pour respirer, et s'approche d'une fenetre. Ce
que c'est que d'habiter une maison historique! M. Majeste
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n'est pas poete, oh! non; et pourtant, en regardant cette
belle cour aristocratique, ou la lune etend une nappe de
lumiere bleue, ce vieux logis de grand seigneur qui a si
bien l'air de dormir avec ses toits engourdis sous leur
[5]capuchon de neige, il lui vient des idees de l'autre monde:
"Hein?... tout de meme, si les Nesmond revenaient..."
A ce moment, un grand coup de sonnette retentit. Le
portail s'ouvre a deux battants, si vite, si brusquement,
que le reverbere s'eteint; et pendant quelques minutes il
[10]se fait la-bas, dans l'ombre de la porte, un bruit confus de
frolements, de chuchotements. On se dispute, on se
presse pour entrer. Voici des valets, beaucoup de valets,
des carrosses tout en glaces miroitant au clair
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