de lune,
des chaises a porteurs balancees entre deux torches qui
[15]s'avivent au courant d'air du portail. En rien de temps,
la cour est encombree. Mais au pied du perron, la confusion
cesse. Des gens descendent des voitures, se saluent,
entrent en causant comme s'ils connaissaient la
maison. Il y a la, sur ce perron, un froissement de soie,
[20]cliquetis d'epees. Rien que des chevelures blanches,
alourdies et mates de poudre; rien que des petites voix
claires, un peu tremblantes, des petits rires sans timbre,
des pas legers. Tous ces gens ont l'air d'etre vieux, vieux.
Ce sont des yeux effaces, des bijoux endormis, d'anciennes
[25]soies brochees, adoucies de nuances changeantes, que la
lumiere des torches fait briller d'un eclat doux; et sur
tout cela flotte un petit nuage de poudre, qui monte des
cheveux echafaudes, roules en boucles, a chacune de ces
jolies reverences, un peu guindees par les epees et les
[30]grands paniers... Bientot toute la maison a l'air d'etre
hantee. Les torches brillent de fenetre en fenetre, montent
et descendent dans le tournoiement des escaliers, jusqu'aux
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lucarnes des mansardes qui ont leur etincelle de fete et
de vie. Tout l'hotel de Nesmond s'illumine, comme si un
grand coup de soleil couchant avait allume ses vitres.
"Ah! mon Dieu! ils vont mettre le feu!..." se dit M.
[5]Majeste. Et, revenu de sa stupeur, il tache de secouer
l'engourdissement de ses jambes et descend vite dans la
cour, ou les laquais viennent d'allumer un grand feu clair.
M. Majeste s'approche; il leur parle. Les laquais ne lui
repondent pas, et continuent de causer tout bas entre eux,
[10]sans que la moindre vapeur s'echappe de leurs levres dans
l'ombre glaciale de la nuit, M. Majeste n'est pas content,
cependant une chose le rassure, c'est que ce grand feu qui
flambe si haut et si droit est un feu singulier, une flamme
sans chaleur, qui brille et ne brule pas. Tranquillise de
[15]ce cote, le bonhomme franchit le perron et entre dans ses
magasins.
Ces magasins du rez-de-chaussee devaient faire autrefois
de beaux salons de reception. Des parcelles d'or terni
brillent encore a tous les angles. Des peintures
[20]mythologiques tournent au plafond, entourent les glaces, flottent
au-dessus des portes dans des teintes vagues, un peu
ternes, comme le souvenir des annees ecoulees. Malheureusement
il n'y a plus de rideaux, plus de meubles.
Rien que des paniers, de grandes caisses pleines de siphons
[25]a
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