porte au doigt
un petit rubis qui m'a brule en effleurant ma main comme l'etincelle
d'un feu magique.
--Bravo! s'ecria le Porpora d'un air narquois. Je n'ai rien a vous
cacher, en ce cas; et le nom de cette beaute, c'est la Clorinda. Allez
donc lui faire vos offres seduisantes; donnez-lui de l'or, des diamants
et des chiffons. Vous l'engagerez facilement dans votre troupe, et elle
pourra peut-etre vous remplacer la Corilla; car le public de vos
theatres prefere aujourd'hui de belles epaules a de beaux sons, et des
yeux hardis a une intelligence elevee.
--Me serais-je donc trompe, mon cher maitre? dit le comte un peu confus;
la Clorinda ne serait-elle qu'une beaute vulgaire?
--Et si ma sirene, ma divinite, mon archange, comme il vous plait de
l'appeler, n'etait rien moins que belle? reprit le maitre avec malice.
--Si elle etait difforme, je vous supplierais de ne jamais me la
montrer, car mon illusion serait trop cruellement detruite. Si elle
etait seulement laide, je pourrais l'adorer encore; mais je ne
l'engagerais pas pour le theatre, parce que le talent sans la beaute
n'est parfois qu'un malheur, une lutte, une supplice pour une femme. Que
regardez-vous, maestro, et pourquoi vous arretez-vous ainsi?
--Nous voici a l'embarcadere ou se tiennent les gondoles, et je n'en
vois aucune. Mais vous, comte, que regardez-vous ainsi par la?
--Je regarde si ce jeune gars, que vous voyez assis sur les degres de
l'embarcadere aupres d'une petite fille assez vilaine, n'est point mon
protege Anzoleto, le plus intelligent et le plus joli de nos petits
plebeiens. Regardez-le, cher maestro, ceci vous interesse comme moi. Cet
enfant a la plus belle voix de tenor qui soit dans Venise; il a un gout
passionne pour la musique et des dispositions incroyables. Il y a
longtemps que je veux vous parler de lui et vous prier de lui donner des
lecons. Celui-la, je le destine veritablement a soutenir le succes de
mon theatre, et dans quelques annees, j'espere etre bien recompense de
mes soins. Hola, Zoto! viens ici, mon enfant, que je te presente a
l'illustre maitre Porpora.
Anzoleto tira ses jambes nues de l'eau, ou elles pendaient avec
insouciance tandis qu'il s'occupait a percer d'une grosse aiguille ces
jolies coquillages qu'on appelle poetiquement a Venise _fiori di mare_.
Il avait pour tout vetement une culotte fort rapee et une chemise assez
fine, mais fort dechiree, a travers laquelle on voyait ses epaules
blanches et modelees
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