comte
Zustiniani s'etaient mutuellement presente leurs _petits musiciens_, et
depuis ce temps le comte n'avait plus pense a la jeune chanteuse de
musique sacree; depuis ce temps, le professeur avait egalement oublie le
bel Anzoleto, vu qu'il ne l'avait trouve, apres un premier examen, doue
d'aucune des qualites qu'il exigeait dans un eleve: d'abord une nature
d'intelligence serieuse et patiente, ensuite une modestie poussee
jusqu'a l'annihilation de l'eleve devant les maitres, enfin une absence
complete d'etudes musicales anterieures a celles qu'il voulait donner
lui-meme. "Ne me parlez jamais, disait-il, d'un ecolier dont le cerveau
ne soit pas sous ma volonte comme une table rase, comme une cire vierge
ou je puisse jeter la premiere empreinte. Je n'ai pas le temps de
consacrer une annee a faire desapprendre avant de commencer a montrer.
Si vous voulez que j'ecrive sur une ardoise, presentez-la-moi nette. Ce
n'est pas tout, donnez-la-moi de bonne qualite. Si elle est trop
epaisse, je ne pourrai l'entamer; si elle est trop mince, je la briserai
au premier trait." En somme, bien qu'il reconnut les moyens
extraordinaires du jeune Anzoleto, il declara au comte, avec quelque
humeur et avec une ironique humilite a la fin de la premiere lecon, que
sa methode n'etait pas le fait d'un eleve deja si avance, et que le
premier maitre venu _suffirait pour embarrasser et retarder les progres
naturels et le developpement invincible de cette magnifique
organisation_.
Le comte envoya son protege chez le professeur Mellifiore, qui de
roulade en cadence, et de trilles en grupetti, le conduisit a l'entier
developpement de ses qualites brillantes; si bien que lorsqu'il eut
vingt-trois ans accomplis, il fut juge, par tous ceux qui l'entendirent
dans le salon du comte, capable de debuter a San-Samuel avec un grand
succes dans les premiers roles.
Un soir, toute la noblesse dilettante, et tous les artistes un peu
renommes qui se trouvaient a Venise furent pries d'assister a une
epreuve finale et decisive. Pour la premiere fois de sa vie, Anzoleto
quitta sa souquenille plebeienne, endossa un habit noir, une veste de
satin, releva et poudra ses beaux cheveux, chaussa des souliers a
boucles, prit un maintien compose, et se glissa sur la pointe du pied
jusqu'a un clavecin, ou, a la clarte de cent bougies, et sous les
regards de deux ou trois cents personnes, il suivit des yeux la
ritournelle, enflamma ses poumons, et se lanca, avec son auda
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