te connais plus. Porte
ailleurs tes beaux sourires et tes gazouillements perfides.
--Le voila qui s'adoucit, dit la Corilla en prenant d'une main le bras
du debutant, sans cesser de chiffonner de l'autre l'ample cravate
blanche du professeur. Viens ici, Zoto[1], et plie le genou devant le
plus savant maitre de chant de toute l'Italie. Humilie-toi, mon enfant,
et desarme sa rigueur. Un mot de lui, si tu peux l'obtenir, doit avoir
plus de prix pour toi que toutes les trompettes de la renommee.
[1 Contraction d'_Anzoleto_, qui est le diminutif d'_Angelo, Anzolo_ en
dialecte.]
--Vous avez ete bien severe pour moi, monsieur le professeur, dit
Anzoleto en s'inclinant devant lui avec une modestie un peu railleuse;
cependant mon unique pensee, depuis quatre ans, a ete de vous faire
revoquer un arret bien cruel; et si je n'y suis pas parvenu ce soir,
j'ignore si j'aurai le courage de reparaitre devant le public, charge
comme me voila de votre anatheme.
--Enfant, dit le professeur en se levant avec une vivacite et en parlant
avec une conviction qui le rendirent noble et grand, de crochu et
maussade qu'il semblait a l'ordinaire, laisse aux femmes les mielleuses
et perfides paroles. Ne t'abaisse jamais au langage de la flatterie,
meme devant ton superieur, a plus forte raison devant celui dont tu
dedaignes interieurement le suffrage. Il y a une heure tu etais la-bas
dans ce coin, pauvre, ignore, craintif; tout ton avenir tenait a un
cheveu, a un son de ton gosier, a un instant de defaillance dans tes
moyens, a un caprice de ton auditoire. Un hasard, un effort, un instant,
t'ont fait riche, celebre, insolent. La carriere est ouverte, tu n'as
plus qu'a y courir tant que tes forces t'y soutiendront. Ecoute donc;
car pour la premiere fois, pour la derniere peut-etre, tu vas entendre
la verite. Tu es dans une mauvaise voie, tu chantes mal, et tu aimes la
mauvaise musique. Tu ne sais rien, tu n'as rien etudie a fond. Tu n'as
que de l'exercice et de la facilite. Tu te passionnes a froid; tu sais
roucouler, gazouiller comme ces demoiselles gentilles et coquettes
auxquelles on pardonne de minauder ce qu'elles ne savent pas chanter.
Mais tu ne sais point phraser, tu prononces mal, tu as un accent
vulgaire, un style faux et commun. Ne te decourage pas pourtant; tu as
tous les defauts, mais tu as de quoi les vaincre; car tu as les qualites
que ne peuvent donner ni l'enseignement ni le travail; tu as ce que ne
peuvent faire perdre ni le
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