la
qu'il etait deja aime pour sa jeunesse, sa beaute et sa gloire
naissante! Maintenant, se dit Anzoleto avec cette rapidite d'apercus et
de conclusions que possedent quelques tetes merveilleusement organisees,
il ne me reste plus qu'a me faire craindre, si je ne veux toucher au
lendemain amer et ridicule de mon triomphe. Mais comment me faire
craindre, moi, pauvre diable, de la reine des enfers en personne? Son
parti fut bientot pris. Il se jeta dans un systeme de mefiance, de
jalousies et d'amertumes dont la coquetterie passionnee etonna la
prima-donna. Toute leur causerie ardente et legere peut se resumer
ainsi:
ANZOLETO.
Je sais bien que vous ne m'aimez pas, que vous ne m'aimerez jamais, et
voila pourquoi je suis triste et contraint aupres de vous.
CORILLA.
Et si je t'aimais?
ANZOLETO.
Je serais tout a fait desespere, parce qu'il me faudrait tomber du ciel
dans un abime, et vous perdre peut-etre une heure apres vous avoir
conquise au prix de tout mon bonheur futur.
CORILLA.
Et qui te fait croire a tant d'inconstance de ma part?
ANZELOTO
D'abord, mon peu de merite. Ensuite, tout le mal qu'on dit de vous.
CORILLA.
Et qui donc medit ainsi de moi?
ANZOLETO.
Tous les hommes, parce que tous les hommes vous adorent.
CORILLA.
Ainsi, si j'avais la folie de prendre de l'affection pour toi et de te
le dire, tu me repousserais?
ANZOLETO.
Je ne sais si j'aurais la force de m'enfuir; mais si je l'avais, il est
certain que je ne voudrais vous revoir de ma vie.
--Eh bien, dit la Corilla, j'ai envie de faire cette epreuve par
curiosite.... Anzoleto, je crois que je t'aime.
--Et moi, je n'en crois rien, repondit-il. Si je reste, c'est parce que
je comprends bien que c'est un persiflage. A ce jeu-la, vous ne
m'intimiderez pas, et vous me piquerez encore moins.
--Tu veux faire assaut de finesse, je crois?
--Pourquoi non? Je ne suis pas bien redoutable, puisque je vous donne le
moyen de me vaincre.
--Lequel?
--C'est de me glacer d'epouvante, et de me mettre en fuite en me disant
serieusement ce que vous venez de me dire par raillerie.
--Tu es un drole de corps! et je vois bien qu'il faut faire attention a
tout avec toi. Tu es de ces hommes qui ne veulent pas respirer seulement
le parfum de la rose, mais la cueillir et la mettre sous verre. Je ne
t'aurais cru ni si hardi ni si volontaire a ton age!
--Et vous me meprisez pour cela?
--Au contraire: tu m'en plais davantage.
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