Catherine de Medicis, lui fit
present, en la mariant a Henri II, d'une douzaine de medailles d'or
antiques de la plus grande valeur. Pendant le diner, le pere, tout
joyeux de voir son Eugenie plus belle dans une robe neuve, s'etait ecrie:
--Puisque c'est la fete d'Eugenie, faisons du feu! ce sera de bon
augure.
--Mademoiselle se mariera dans l'annee, c'est sur, dit la grande Nanon
en remportant les restes d'une oie, ce faisan des tonneliers.
--Je ne vois point de partis pour elle a Saumur, repondit madame Grandet
en regardant son mari d'un air timide qui, vu son age, annoncait
l'entiere servitude conjugale sous laquelle gemissait la pauvre femme.
Grandet contempla sa fille, et s'ecria gaiement:
--Elle a vingt-trois ans aujourd'hui, l'enfant, il faudra bientot
s'occuper d'elle.
Eugenie et sa mere se jeterent silencieusement un coup d'oeil
d'intelligence.
Madame Grandet etait une femme seche et maigre, jaune comme un coing,
gauche, lente; une de ces femmes qui semblent faites pour etre
tyrannisees. Elle avait de gros os, un gros nez, un gros front, de gros
yeux, et offrait, au premier aspect, une vague ressemblance avec ces
fruits cotonneux qui n'ont plus ni saveur ni suc. Ses dents etaient
noires et rares, sa bouche etait ridee, et son menton affectait la forme
dite en galoche. C'etait une excellente femme, une vraie La Bertelliere.
L'abbe Cruchot savait trouver quelques occasions de lui dire qu'elle
n'avait pas ete trop mal, et elle le croyait. Une douceur angelique, une
resignation d'insecte tourmente par des enfants, une piete rare, une
inalterable egalite d'ame, un bon coeur, la faisaient universellement
plaindre et respecter. Son mari ne lui donnait jamais plus de six francs
a la fois pour ses menues depenses. Quoique ridicule en apparence, cette
femme qui, par sa dot et ses successions, avait apporte au pere Grandet
plus de trois cent mille francs, s'etait toujours sentie si profondement
humiliee d'une dependance et d'un ilotisme contre lequel la douceur de
son ame lui interdisait de se revolter, qu'elle n'avait jamais demande
un sou, ni fait une observation sur les actes que maitre Cruchot lui
presentait a signer. Cette fierte sotte et secrete, cette noblesse d'ame
constamment meconnue et blessee par Grandet, dominaient la conduite de
cette femme. Madame Grandet mettait constamment une robe de levantine
verdatre, qu'elle s'etait accoutumee a faire durer pres d'une annee;
elle portait un grand fichu
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