, en haillons, et entendait toujours le tonnelier lui disant:
--Que voulez-vous, ma mignonne? Et sa reconnaissance etait toujours
jeune. Quelquefois Grandet, songeant que cette pauvre creature n'avait
jamais entendu le moindre mot flatteur, qu'elle ignorait tous les
sentiments doux que la femme inspire, et pouvait comparaitre un jour
devant Dieu, plus chaste que ne l'etait la Vierge Marie elle-meme;
Grandet, saisi de pitie, disait en la regardant:
--Cette pauvre Nanon! Son exclamation etait toujours suivie d'un regard
indefinissable que lui jetait la vieille servante. Ce mot, dit de temps
a autre, formait depuis longtemps une chaine d'amitie non interrompue,
et a laquelle chaque exclamation ajoutait un chainon. Cette pitie,
placee au coeur de Grandet et prise tout en gre par la vieille fille,
avait je ne sais quoi d'horrible. Cette atroce pitie d'avare, qui
reveillait mille plaisirs au coeur du vieux tonnelier, etait pour Nanon
sa somme de bonheur. Qui ne dira pas aussi: Pauvre Nanon! Dieu
reconnaitra ses anges aux inflexions de leur voix et a leurs mysterieux
regrets. Il y avait dans Saumur une grande quantite de menages ou les
domestiques etaient mieux traites, mais ou les maitres n'en recevaient
neanmoins aucun contentement. De la cette autre phrase: "Qu'est-ce que
les Grandet font donc a leur grande Nanon pour qu'elle leur soit si
attachee? Elle passerait dans le feu pour eux!"Sa cuisine, dont les
fenetres grillees donnaient sur la cour, etait toujours propre, nette,
froide, veritable cuisine d'avare ou rien ne devait se perdre. Quand
Nanon avait lave sa vaisselle, serre les restes du diner, eteint son
feu, elle quittait sa cuisine, separee de la salle par un couloir, et
venait filer du chanvre aupres de ses maitres. Une seule chandelle
suffisait a la famille pour la soiree. La servante couchait au fond de
ce couloir, dans un bouge eclaire par un jour de souffrance. Sa robuste
sante lui permettait d'habiter impunement cette espece de trou, d'ou
elle pouvait entendre le moindre bruit par le silence profond qui
regnait nuit et jour dans la maison. Elle devait, comme un dogue charge
de la police, ne dormir que d'une oreille et se reposer en veillant.
La description des autres portions du logis se trouvera liee aux
evenements de cette histoire; mais d'ailleurs le croquis de la salle ou
eclatait tout le luxe du menage peut faire soupconner par avance la
nudite des etages superieurs.
En 1819, vers le commencement d
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