ancs pour la robe de bal, dit madame Marteau;
nous en avons pour cinquante francs seulement pour la toilette de la
mariee, sans compter les fleurs de fantaisie pour les chapeaux; tout
cela coute bien cher et se fane bien vite.
--Mais combien de temps met-elle a faire ces bouquets? dit Joseph; un
mois peut-etre? travailler tout un mois pour cinquante francs, ce n'est
pas le moyen de s'enrichir.
--Oh! monsieur Joseph, vous avez bien raison! dit Henriette d'une voix
aigre, ce n'est certainement pas trop paye; il n'y a guere de profit,
allez, pour les pauvres grisettes, et par-dessus le marche on leur fait
avaler tant d'insolences! On n'a pas toujours le bonheur d'aller en
journee chez du _monde honnete_ comme votre famille, monsieur Joseph; il
y a des personnes qui parlent bien haut chez les autres, et qui, au coin
de leur feu, lesinent miserablement.
--Eh bien! eh bien! dit la grand'mere, qui, placee assez loin
d'Henriette, n'entendait que vaguement ses paroles, qu'a-t-elle donc
a regarder de travers par ici, comme si elle voulait nous manger?
Henriette, Henriette, est-ce que tu dis du mal de nous, mon enfant?
--Eh non! eh non! ma mere, repondit Joseph; tout au contraire,
mademoiselle Henriette nous aime de tout son coeur; car j'en suis aussi,
n'est-ce pas, mademoiselle Henriette?
Pour faire comprendre au lecteur la crainte de la grand'mere, il est bon
de dire que le caquet des grisettes est la terreur de tous les menages
de L.... Initiees durant des semaines entieres a tous les petits secrets
des maisons ou elles travaillent, elles n'ont guere d'autre occupation,
apres le bal et les fleurettes des garcons, que de colporter de famille
en famille les observations malignes qu'elles ont faites dans chacune,
et meme les scandales domestiques qu'elles y ont surpris. Elles trouvent
dans toutes des auditeurs avides de commerage qui ne rougissent pas de
les questionner sur ce qui se passe chez leur voisin, sans songer que
demain a leur tour leur interieur fera les frais de la chronique dans
une troisieme maison. La medisance est une arme terrible dont les
grisettes se servent pour appuyer le pouvoir de leurs charmes et imposer
aux femmes qui les haissent le plus toutes sortes de menagements et
d'egards.
Madame Privat sentit l'imprudence qu'elle avait commise, et, sachant
bien qu'il n'etait pas de moyen humain, d'empecher une grisette de
parler, elle prit le parti d'eviter au moins les injures directes, et
battit en r
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