repousse et la ramene au pied des ouvrages.
Le brave Leturcq est tue glorieusement en voulant se retirer le dernier;
Fugieres perd un bras. Murat, de son cote, s'etait avance avec sa
cavalerie, pour franchir l'espace compris entre la redoute et le lac
Madieh. Plusieurs fois il s'etait elance et avait refoule l'ennemi;
mais, pris entre les feux de la redoute et des canonnieres, il avait
ete oblige de se reployer en arriere. Quelques-uns de ses cavaliers
s'etaient meme avances jusqu'aux fosses de la redoute; les efforts
de tant de braves paraissaient devoir etre impuissans. Bonaparte
contemplait ce carnage, attendant le moment favorable pour revenir a
la charge. Heureusement les Turcs, suivant leur usage, sortent des
retranchemens pour venir couper les tetes des morts. Bonaparte saisit
cet instant, lance deux bataillons, l'un de la 22e, l'autre de la 69,
qui marchent sur les retranchemens et s'en emparent. A la droite, la 18e
profite aussi de l'occasion, et entre dans la redoute. Murat, de son
cote, ordonne une nouvelle charge. L'un de ses escadrons traverse cet
espace si redoutable qui regne entre les retranchemens et le lac, et
penetre dans le village d'Aboukir. Alors les Turcs effrayes fuient de
toutes parts; on en fait un carnage epouvantable. On les pousse la
baionnette dans les reins, et on les precipite dans la mer. Murat, a la
tete de ses cavaliers, penetre dans le camp de Mustapha-Pacha. Celui-ci,
saisi de desespoir, prend un pistolet, et le tire sur Murat qu'il blesse
legerement. Murat lui coupe deux doigts d'un coup de sabre, et l'envoie
prisonnier a Bonaparte. Les Turcs qui ne sont ni tues ni noyes se
retirent dans le fort d'Aboukir.
Plus de douze mille cadavres flottaient sur cette mer d'Aboukir, qui
naguere avait ete couverte des corps de nos marins: deux ou trois mille
avaient peri par le feu ou le fer. Les autres, enfermes dans ce fort,
n'avaient plus d'autre ressource que la clemence du vainqueur. Telle est
cette extraordinaire bataille, ou, pour la premiere fois peut-etre, dans
l'histoire de la guerre, l'armee ennemie fut detruite tout entiere.
C'est dans cette occasion que Kleber, arrivant a la fin du jour, saisit
Bonaparte au milieu du corps, et s'ecria: _General, vous etes grand
comme le monde!_
Ainsi, soit par l'expedition de Syrie, soit par la bataille d'Aboukir,
l'Egypte etait delivree, du moins momentanement, des forces de la Porte.
La situation de l'armee francaise pouvait etre regardee comme
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