lui.
Restait l'homme vraiment important, c'etait Sieyes, entrainant a sa
suite Roger-Ducos. En appelant Sieyes au directoire au moment du
30 prairial, il semblait qu'on eut songe a se jeter dans ses bras.
Bonaparte lui en voulait presque d'avoir pris la premiere place en son
absence; d'avoir fixe un moment les esprits, et d'avoir fait naitre des
esperances. Il avait contre lui une humeur qu'il ne s'expliquait
pas. Quoique fort opposes par le genie et les habitudes, ils avaient
cependant assez de superiorite pour s'entendre et se pardonner leurs
differences, mais trop d'orgueil pour se faire des concessions.
Malheureusement ils ne s'etaient point encore adresse la parole, et deux
grands esprits qui ne se sont pas encore flattes, sont naturellement
ennemis. Ils s'observaient, et chacun des deux attendait que l'autre fit
les premiers pas. Ils se rencontrerent a diner chez Gohier. Bonaparte
s'etait senti assez au-dessus de Moreau pour faire les premiers pas; il
ne crut pas pouvoir les faire envers Sieyes, et il ne lui parla pas.
Celui-ci garda le meme silence. Ils se retirerent furieux. "Avez-vous
vu ce petit insolent? dit Sieyes; il n'a pas meme salue le membre d'un
gouvernement qui aurait du le faire fusiller.--Quelle idee a-t-on eue,
dit Bonaparte, de mettre ce pretre au directoire? il est vendu a la
Prusse, et, si on n'y prend garde, il vous livrera a elle." Ainsi, dans
les hommes de la plus grande superiorite, l'orgueil l'emporte meme sur
la politique. Si, du reste, il en etait autrement, ils n'auraient plus
cette hauteur qui les rend propres a dominer les hommes.
Ainsi, le personnage que Bonaparte avait le plus d'interet a gagner,
etait celui pour lequel il avait le plus d'eloignement. Mais leurs
interets etaient tellement identiques, qu'ils allaient etre, malgre
eux-memes, pousses l'un vers l'autre par leurs propres partisans.
Tandis qu'on s'observait, et que l'affluence chez Bonaparte allait
toujours croissant, celui-ci, incertain encore du parti qu'il devait
prendre, avait sonde Gohier et Ducos, pour savoir s'ils voudraient
consentir a ce qu'il fut directeur, quoiqu'il n'eut pas l'age
necessaire. C'etait a la place de Sieyes qu'il aurait voulu entrer au
gouvernement. En excluant Sieyes, il devenait le maitre de ses autres
collegues, et etait assure de gouverner sous leur nom. C'etait sans
doute un succes bien incomplet; mais c'etait un moyen d'arriver au
pouvoir, sans faire precisement une revolution; et une f
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