mament, un immense pot au lait. Les astres
aussi doivent perdre quelquefois leurs illusions, surtout s'ils nous
regardent.
Impossible de trouver un fiacre. Les cochers roulaient, insolents, avec
une garniture d'ouate a chaque roue, les chevaux philosophes manquant
d'un pied, au moins, a chaque pas, resignes aux cinglements du fouet
inutile qui avait au moins le merite de le rechauffer, ayant des buees
aux naseaux, des buees ou les reflets des reverberes mettaient des
fumees de sang clair. Puisque j'etais condamne a la promenade, l'idee
me vint d'y meler un peu de pittoresque et de rentrer chez moi, en
traversant un coin du bois de Boulogne qui ne m'ecartait pas beaucoup de
mon chemin. Idee miraculeuse et vraiment geniale, car je me trouvai, des
les premiers arbres, devant le plus aimable tableau du monde. Odieuse a
Paris, ou elle se resout presque immediatement en boue noire, la neige
apporte a la Nature un merveilleux element de feerie. C'etait un
enchantement que tous ces massifs confondus sous une blancheur egale,
etales en eblouissements sous le ciel redevenu clair, pareils aux vagues
d'une mer immobile et figee dans une rigidite marmoreenne. Les routes
larges, et d'un seul jet immacule, scintillaient aux premiers plans, et
les masses moutonnaient a l'horizon, comme un troupeau couche dans la
penombre d'une colline. Pas un bruit! Une grande meditation de toutes
les choses et un mysterieux recueillement sous ce bapteme de purete
rajeunie.
* * * * *
Une impression soudaine me traversa soudain le coeur, froide comme
un coup de couteau. Ce paysage, si souvent parcouru au temps de nos
ferventes tendresses, ce paysage dont chaque coin, chaque repli avait
ete un souvenir de nos amours, vaillantes sous le sourire du ciel,
pourquoi s'etait-il soudain couvert d'un suaire? Est-ce que mon bonheur
etait mort a jamais, que tout ce qui y avait touche m'apparut tout a
coup comme enseveli? Etait-ce sur nos coeurs que ce magnifique tombeau
de marbre s'etait eleve? Car c'etait un peu de notre coeur que ces
verdures, sous lesquelles avaient sonne nos premiers baisers, furtifs
comme des oiseaux qui s'envolent au moindre bruit, que les allees ou
nous nous etions si souvent serres l'un contre l'autre sans nous parler;
que ces gazons, d'ou les violettes nous avaient regardes passer, de
leurs yeux pales et bleus; que cette eau dormante, qui laissait glisser
vers l'infini avec un bruit monotone de rames,
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