la barque aux voiles
transparentes de nos reves. Ah! comme nous croyons bien, fous que nous
sommes, que tout n'a ete fait que pour servir a nos tendresses, l'azur,
les fleurs, tout ce qui embaume et tout ce qui chante! C'est stupide,
n'est-ce pas? Ce qui est vrai, au contraire, c'est que nous laissons un
peu de nous a tout cela comme le mouton qui passe laisse aux buissons un
peu de sa laine; soupirs envoles, joies perdues, tout ce qui s'en va de
nous dans les extases ou se consume le meilleur et le plus pur de notre
vie.
Et je m'abimais de plus en plus dans cette idee sombre que tout etait,
autour de moi, la sepulture eclatante de mon bonheur, et que ce blanc
mausolee avait surgi a l'heure meme ou nos coeurs sans pardon s'etaient
desunis.
Le lendemain l'aube se leva, sous ma croisee, par un decor tout pareil,
le froid nocturne ayant durci l'enveloppe virginale de la terre,
et,--comme nous etions brouilles encore,--je me retrouvai sous la meme
impression, oppressee et superstitieuse. Mais, a midi, le soleil vint,
qui fondit cette legere epaisseur de la premiere neige, laquelle est
plutot comme une mousseline que comme une lourde draperie. Les arbres
se mirent a pleurer d'attendrissement et de joie, et de lents ruisseaux
coururent sur le sable, tandis que certaines verdures obstinees
degageaient, comme des carquois de Diane, une fleche d'emeraude. Une
fleur, une fleur meme qui s'etait ouverte sur les derniers pas de
l'automne, emergea de ces blancheurs defaillantes. Etait-elle, elle
aussi, un symbole m'annoncant que notre amour allait refleurir.
Ce qui me reste de cette reverie, c'est que la facherie, meme la plus
legere, est mauvaise aux vrais amants. Toutes les neiges ne fondent pas
ainsi au premier rayon de soleil, et le coeur de la terre, ce coeur aux
chaleurs sacrees qui s'epanouissent dans le sang vivant des roses, ne
bat plus dans les montagnes qui dorment ensevelies sous des neiges
eternelles.
[Illustration]
[Illustration]
CARNAVAL AMOUREUX
Savez-vous ce que j'ai reve? ma chere. Que vous aviez parie de vous
deguiser si bien, pour ce mardi-gras, que je ne vous pusse reconnaitre.
L'enjeu? Je n'ai pas besoin de vous l'apprendre. Vous qui pouvez me
donner l'infini, je serais bien sot de vous demander autre chose! Un
heritage tombe du ciel,--je les aimerais mieux ainsi que montant de
la terre, comme des fleurs empoisonnees et mouillees de larmes,--me
permettait du donner un libre cours a votre
|