de nouveaux orages; comme, au
lieu d'etre heureux et tranquille avec moi dans cette retraite ignoree
de tous ou tu venais me cacher a tous les regards, mes concessions ne
servaient qu'a augmenter ta jalousie, et la solitude qu'a aggraver ta
tristesse, de mon cote je n'etais point heureuse; car je voyais toutes
mes peines perdues et tous mes sacrifices tourner a ta perte. Alors je
regrettais ces temps de repit ou, sous l'habit d'un homme, je puis
du moins, grace a l'or que me verse mon aieul, t'entourer de nobles
delassements et de poetiques distractions?...
ASTOLPHE.
Oui, les premiers jours que nous passons a Florence ou a Pise ont
toujours pour moi de grands charmes. Je ne suis pas fait pour la
solitude et l'oisivete de la campagne; je ne sais pas, comme toi,
m'absorber dans les livres, m'abimer dans la meditation. Tu le sais
bien, en te ramenant ici chaque annee, le tyran se condamne a plus de
maux que sa victime, et mes torts augmentent en raison de ma souffrance
interieure. Mais, dans le tumulte du monde, quand tu redeviens le beau
Gabriel, recherche, admire, choye de tous, c'est encore une autre
souffrance qui s'empare de moi; souffrance moins lente, moins profonde
peut-etre, mais violente, mais insupportable. Je ne puis m'habituer a
voir les autres hommes te serrer la main ou passer familierement leur
bras sous le tien. Je ne veux pas me persuader qu'alors tu es un homme
toi-meme, et qu'a l'abri de ta metamorphose tu pourrais dormir sans
danger dans leur chambre, comme tu dormis autrefois sous le meme toit
que moi sans que mon sommeil en fut trouble. Je me souviens alors de
l'etrange emotion qui s'empara peu a peu de moi a tes cotes, combien je
regrettai que tu ne fusses pas femme, et comment, a force de desirer
que tu le devinsses par miracle, j'arrivai a deviner que tu l'etais en
realite. Pourquoi les autres n'auraient-ils pas le meme instinct, et
comment n'eprouveraient-ils pas en le voyant ce desordre inexprimable
que ton deguisement d'homme ne pouvait reprimer en moi? Oh! j'eprouve
des tortures inouies quand Menrique pousse son cheval pres du tien, ou
quand le brutal Antonio passe sa lourde main sur tes cheveux en disant
d'un air qu'il croit plaisant: "J'ai pourtant brule d'amour tout un soir
pour cette belle chevelure-la!" Alors je m'imagine qu'il a devine notre
secret, et qu'il se plait insolemment a me tourmenter par ses plates
allusions; je sens se rallumer en moi la fureur qui me transporta
lorsqu'il
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