re, j'ai regret de le dire, se montrait nettement
agressif.
Ce fut meme cela qui me decida a choisir mon cousin pour
m'accompagner dans la promenade a travers bois qui suivit le
lunch.
Jack avait fini par prendre des airs de proprietaire si provocants
que j'etais resolue a en finir une fois pour toutes.
Je lui en voulais aussi d'avoir pris l'air d'etre cruellement
mortifie par mon refus et d'avoir voulu denigrer par derriere le
pauvre Sol.
Il s'en fallait beaucoup que je fusse eprise de l'un ou de
l'autre, mais apres tout, avec mes idees juveniles de lutte a
armes egales, j'etais revoltee de voir l'un ou l'autre prendre une
avance que je regardais comme un avantage mal acquis.
Je sentais que si Jack n'etait pas revenu, j'aurais fini a la
longue par agreer mon cousin.
D'autre part, si ce n'avait ete Sol, je n'aurais jamais pu refuser
Jack.
Pour le moment, je les aimais tous les deux trop pour favoriser
l'un ou l'autre.
"Comment cela finira-t-il? je me le demande, pensai-je. Il faut
que je fasse quelque chose de decisif dans un sens ou dans
l'autre, a moins que, peut-etre, le meilleur parti soit d'attendre
et de voir ce que l'avenir amenera."
Sol montra une legere surprise quand je le choisis pour compagnon,
mais il accepta avec un sourire de gratitude.
Son esprit parut considerablement soulage.
-- Ainsi donc, je ne vous ai point encore perdue, Nell, me dit-il
a demi-voix, pendant que nous nous enfoncions sous les grands
arbres et que les voix de la troupe nous arrivaient de plus en
plus affaiblies par l'eloignement.
-- Personne ne peut me perdre, dis-je, car jusqu'a present
personne ne m'a gagnee. Je vous en prie, ne parlez plus de cela.
Ne pourriez-vous pas causer comme vous le faisiez il y a deux ans,
et ne pas etre si epouvantablement sentimental?
-- Vous saurez un jour pourquoi, Nell, dit l'etudiant d'un ton de
reproche. Attendez jusqu'au jour ou vous connaitrez vous-meme
l'amour; alors vous comprendrez.
Je fis une legere moue d'incredulite.
-- Asseyons-nous ici, Nell, dit le cousin Sol, en me dirigeant
habilement vers un petit tertre couvert de fraisiers et de mousse,
et se perchant sur une souche d'arbre a cote de moi. Maintenant,
tout ce que je vous demande, c'est de repondre a une ou deux
questions. Apres cela je ne vous persecuterai plus.
Je m'assis, l'air resigne, les mains sur les genoux.
-- Etes-vous fiancee au lieutenant Hawthorne?
-- Non, repondis-je avec energie
|