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l'autre; j'ai le coeur pris;
j'aime ailleurs.
M. REMY, _d'un ton railleur et trainant ses mots_.
J'ai le coeur pris! voila qui est facheux! Ah! ah! le coeur est admirable!
Je n'aurois jamais devine la beaute des scrupules de ce coeur-la, qui veut
qu'on reste intendant de la maison d'autrui, pendant qu'on peut l'etre de
la sienne. Est-ce la votre dernier mot, berger fidele?
DORANTE.
Je ne saurois changer de sentiment, Monsieur.
M. REMY.
Oh! le sot coeur! mon neveu; vous etes un imbecile,
un insense; et je tiens celle que vous aimez pour une guenon,[76] si elle
n'est pas de mon sentiment, n'est-il pas vrai, Madame? et ne le trouvez-
vous pas extravagant?
ARAMINTE, _doucement_,
Ne le querellez point. Il paroit avoir tort, j'en conviens.
M. REMY, _vivement_.
Comment! Madame, il pourroit...
ARAMINTE.
Dans sa facon de penser je l'excuse. Voyez pourtant, Dorante, tachez de
vaincre votre penchant, si vous le pouvez; je sais bien que cela est
difficile.
DORANTE.
Il n'y a pas moyen. Madame, mon amour m'est plus cher que ma vie.
M. REMY, _d'un air etonne_.
Ceux qui aiment les beaux sentiments doivent etre contents; en voila un
des plus curieux qui se fasse.[77] Vous trouvez donc cela raisonnable,
Madame?
ARAMINTE.
Je vous laisse, parlez-lui vous-meme. (_A part._) Il me touche tant qu'il
faut que je m'en aille.
(_Elle sort._)
DORANTE.
Il ne croit pas si bien me servir.
SCENE III.
DORANTE, M. REMY, MARTON.
M. REMY, _regardant son neveu_.
Dorante, sais-tu bien qu'il n'y a point de fou aux petites-maisons[78] de
ta force? (_Marton arrive._) Venez, Mademoiselle Marton.
MARTON.
Je viens d'apprendre que vous etiez ici.
M. REMY.
Dites-nous un peu votre sentiment; que pensez-vous de quelqu'un qui n'a
point de bien, et qui refuse d'epouser une honnete et fort jolie femme,
avec quinze mille livres de rente bien venants?[79]
MARTON.
Votre question est bien aisee a decider: ce quelqu'un reve.
M. REMY, _montrant Dorante_.
Voila le reveur; et pour excuse il allegue son coeur, que vous avez pris;
mais, comme apparemment[80] il n'a pas encore emporte le votre, et que je
vous crois encore a peu pres dans tout votre bon sens, vu le peu de temps
qu'il y a que vous le connoissez, je vous prie de m'aider a le rendre plus
sage. Assurement vous etes fort jolie, mais vous ne le disputerez point a
un pareil etablissement: il n'y a point de beaux yeux qui vaillent ce
prix-l
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