LE COMTE.
Eh! je m'en doutois bien: c'est Madame.
MARTON.
Madame!... Il est vrai, et me voila bien loin de mon compte! (_A part._)
Dubois avoit raison tantot.
ARAMINTE, _a part_.
Et moi, je vois clair. (_A Marton._) Par quel hasard avez-vous cru que
c'etoit vous?
MARTON.
Ma foi, Madame, toute autre que moi s'y seroit trompee. Monsieur Remy me
dit que son neveu m'aime, qu'il veut nous marier ensemble; Dorante est
present, et ne dit point non; il refuse devant moi un tres riche parti;
l'oncle s'en prend a moi, me dit que j'en suis cause. Ensuite vient un
homme qui apporte ce portrait, qui vient chercher ici celui a qui il
appartient; je l'interroge: a tout ce qu'il repond, je reconnois Dorante.
C'est un petit portrait de femme, Dorante m'aime jusqu'a refuser sa
fortune pour moi, je conclus donc que c'est moi qu'il a fait peindre. Ai-
je eu tort? J'ai pourtant mal conclu. J'y renonce; tant d'honneur ne
m'appartient point. Je crois voir toute l'etendue de ma meprise, et je me
tais.
ARAMINTE.
Ah! ce n'est pas la une chose bien difficile a deviner. Vous faites le
fache, l'etonne, Monsieur le Comte; il y a eu quelque malentendu dans les
mesures que vous avez prises; mais vous ne m'abusez point: c'est a vous
qu'on apportait le portrait. Un homme dont on ne sait pas le nom, qu'on
vient chercher ici, c'est vous, Monsieur, c'est vous.
MARTON, _d'un air serieux_.
Je ne crois pas.
Mme. ARGANTE.
Oui, oui, c'est Monsieur; a quoi bon vous en defendre? Dans les termes ou
vous en etes avec ma fille, ce n'est pas la un si grand crime; allons,
convenez-en.
LE COMTE, _froidement_.
Non, Madame, ce n'est point moi, sur mon honneur; je ne connois pas ce
monsieur Remy: comment auroit-on dit chez lui qu'on auroit de mes
nouvelles ici? Cela ne se peut pas.
Mme. ARGANTE, _a'un air pensif_.
Je ne faisois pas attention a cette circonstance.
ARAMIMTE.
Bon! qu'est-ce que c'est qu'une circonstance de plus ou de moins? Je n'en
rabats rien.[96] Quoi qu'il en soit, je le garde, personne ne l'aura. Mais
quel bruit entendons-nous? Voyez ce que c'est, Marton.
SCENE X.
ARAMINTE, LE COMTE, Mme. ARGANTE, MARTON, DUBOIS, ARLEQUIN.
ARLEQUIN, _en entrant_.
Tu es un plaisant[97] magot!
MARTON.
A qui en avez-vous donc, vous autres?
DUBOIS.
Si je disois un mot, ton maitre sortiroit bien vite.
ARLEQUIN.
Toi? Nous nous soucions de toi et de toute ta race de canaille comme de
cela.[98]
DUBOIS
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