fondement
surpris de ne pas voir mon frere Albert Tissandier parmi les nouveaux
debarques du ciel.--Il devait partir le lendemain de mon depart et voila
plusieurs ballons qui viennent sans lui; les aeronautes n'ont meme pas
entendu parler de son depart... Ce silence m'inquiete, car je ne puis
croire que mon frere ait renonce a son projet.
_Dimanche 16 octobre_.--Je rencontre rue Royale a Tours un de mes amis.
--Vous savez la nouvelle? me dit-il.
--Quoi donc?
--Votre frere Albert est ici. Nous venons de le voir, il vous attend a
dejeuner, je vous cherche depuis ce matin.
Je trouve mon frere a _l'hotel de l'Univers;_--nous nous jetons dans les
bras l'un de l'autre. Il me raconte qu'il a manque deux departs, que son
voyage a ete retarde, qu'il est parti enfin avec deux voyageurs.
Voici le recit qu'il a publie lui-meme de son ascension; j'en reproduis
les passages les plus interessants.
VOYAGE DU JEAN-BART.
"Le 14 octobre, a une heure un quart, le ballon le Jean-Bart s'elevait de
Paris dans les airs, conduisant MM. Rane, maire du 9e arrondissement,
et Ferrand, charges d'une mission speciale du gouvernement. Outre les
voyageurs confies a mes soins, j'emportais avec moi 400 kilogrammes de
depeches, c'est-a-dire cent mille lettres, cent mille souvenirs envoyes de
Paris par la voie des airs a cent mille familles anxieuses! Par un soleil
ardent et superbe, nous passons les lignes des forts, a 1,000 metres, nous
distinguons nos ennemis qui en toute hate se mettent en mesure de nous
envoyer des balles. Mais nous planons trop loin de la terre, pour que
l'artillerie puisse nous faire peur; nous entendons les balles qui
bourdonnent comme des mouches au-dessous de notre nacelle, et nous moquant
des uhlans, des cuirassiers blancs, et de tous les Prussiens du
monde, nous nous laissons mollement bercer par les ailes de la brise
jusqu'au-dessus de la foret d'Armonviliers."
"La un spectacle plein de desolation s'offre a nos yeux. Les maisons, les
habitations, les chateaux, sont deserts, abandonnes: nul bruit ne s'eleve
jusqu'a nous, si ce n'est celui de l'aboiement rauque et sinistre de
quelques chiens abandonnes."
"Plus loin, au milieu meme de la foret de Jouy, c'est un camp prussien qui
s'etend sous notre nacelle; on remarque des travaux de defense habilement
organises pour repondre a toute surprise. Les tentes forment deux lignes
paralleles aux extremites desquelles s'elevent des remparts de gabions et
de fascines.
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